mercredi 15 novembre 2017

Le maître d'école

Se rencontreront-ils ? Les grands esprits, c'est le titre d'un film d'Olivier Ayache-Vidal. Je vais laisser mon amie Joss vous en parler...

Agrégé de lettres au lycée Henri IV à Paris, François Foucault se retrouve pris à son propre piège. Vantant les mérites du déplacement des meilleurs professeurs dans les établissements de banlieue devant une représentante ministérielle de l'Éducation nationale, il se voit contraint d'intégrer un collège en Réseau d'éducation prioritaire. Objectif: enseigner dans un établissement difficile afin analyser les problèmes, des deux côtés de la barrière. S'ensuit une année scolaire aux allures de varappe pédagogique et relationnelle, se partageant entre la paroi de ses confrères et celle de ses élèves. Et comme toute voie d'escalade qui se respecte, les deux le feront évoluer, ne lui épargnant pas les revirements.

La rentrée digérée (ou presque), ce film tombait à pic pour prendre un peu de recul sur le thème de l'enseignement. Appartenant moi-même à la corporation, et surtout admiratrice inconditionnelle de Denis Podalydès, je n'ai pas raté le rendez-vous en dépit des critiques. Si elles avaient été acerbes, j'aurais pu prendre ça pour un défi - dans le style "on déteste ou on adore". Mais non, méprisantes, condescendantes, et mièvres de surcroît (sauf de la part du public, beaucoup plus mitigé), au point de me motiver à foncer dare-dare me faire ma propre opinion. Il est vrai que le thème pouvait se prêter sans difficulté à une copie édulcorée du Cercle des poètes disparus, mais non, j'en suis revenue satisfaite d'avoir continué à dresser ma hallebarde du doute. Je proclame ce film non seulement méritant pour ce même registre, mais aussi pour son casting et sa démarche.

Le début du film fait fort, je l'avoue. Plus fort que la suite, mais bon, rien n'y est à jeter non plus (d’ailleurs, si c’était le cas, je ne serais pas là à vous en parler. Je n’ai décidément pas le profil venimo-théâtral gratuit et inconscient du Masque & la Plume !). Revenons à cette introduction juteuse. La scène de la remise des copies de français aux élèves du lycée Henri IV est d'anthologie jubilatoire. On est au parfum, ça va déménager. Et d'ailleurs, ça continue avec le repas de famille chez les parents dans un appartement chic et bourgeois, à l'occasion de l'anniversaire du père. Ouvrage. Il échange quelques mots avec son fils devant un exemplaire où il pose comme un coq. "Bien, la photo de couverture !", "Bien, le bleu du costume !" (Cela change de l'attaque frontale vue précédemment. C'est sûr, il fait moins son beau, le prof redevenu petit garçon !). Bref, rien ne déborde entre le fils qui dit ce qui convient et le père autosatisfait.

Rien à ajouter ? Mais si, bien sûr, car tandis qu'on imagine une dédicace apte à combler la politesse affectueuse de l'un (le fils) et ce que l'on espère encore relever de la pudeur chez l'autre (le père). Mais fichtre, le gros plan sur les quelques mots griffonnés - plus laconiques et impersonnels que possible - nous cloue sur place ! Et l'on passe à table comme si de rien n'était. Le repas réunit donc les parents, leur fils et leur fille, que l'on devine divorcée, avec ses deux enfants ados. On va donc faire connaissance avec la sœur de ce prof rangé: c’est une artiste, une vraie ! On est au parfum.

C'est d’ailleurs elle qui, entre deux coups de chalumeau, au fond de son atelier de fondeur, va lui expliquer la vie, le remettre en phase avec la réalité sur la banlieue lorsqu'il viendra lui parler du changement qui s'abat sur son quotidien bien rangé. De la classe à la famille, du lycée chic au collège du 9.3, et de la même manière en quelque sorte, François passe d'un statut, d’un discours, d'une peau à l’autre. Non pas qu'il multiplie les pirouettes volontairement ou ait en lui la faculté affirmée de s'adapter. Ce garçon porte surtout le fruit d'une éducation où l'on ne fait pas de vagues. Une sorte de discrétion que d'aucuns pourraient bien prendre pour un réel self-control. Cela pourrait bien le servir…

Non moins délirante, la scène du repas avec la jolie chargée de mission du Ministère de l'Éducation nationale vaut aussi son pesant d'or. Après un discours généreux, sûrement sincère (pour les autres !) qu'il a déjà oublié lors d'une séance de dédicace de son propre père, et à la place d’un charmant déjeuner galant, notre prof se trouve embarqué malgré lui dans une mauvaise farce: une mutation expérimentale du 5è arrondissement au 9.3 ! Notre homme ne peut plus reculer. Et il va avancer dans cette banlieue nord comme dans un western, en voiture puis à pied, jusqu'au collège Barbara de Stains.

C’est qu'il lui en faut, du courage, en terre inconnue. Même si le reste du film est moins hilarant que le démarrage, il n'en demeure pas moins très sympa. Je ne mettrais pas l'accent sur le côté "très documenté" qui a fait partie de ses atouts d'après le corps enseignant (ou plutôt sa hiérarchie bureaucratique qui a beaucoup apprécié le film, vu très certainement que le prof s'en sort brillamment), mais l'on continue à croire en Denis Podalydès, au ton toujours extrêmement juste dans le rire ou dans l'émotion.

Et lorsque dès le premier matin (pourtant sous le soleil), armé de son cartable plein cuir, il tente de trouver la bonne porte d'accès à l’établissement (en plan aérien, l'assimilation à une prison est totale), la symbolique glisse comme une plume. On y retrouve la finesse des premiers moments du film. On y est cette fois, François va évoluer dans les murs. Bien sûr, il y a ce côté trop attendu où son cœur fond très vite pour une jolie et jeune collègue, pleine d'enthousiasme et d'authenticité (et finalement bien plus dépourvue que lui), mais finalement, c’est l'accueil chaleureux et complice de l'ensemble des collègues qui nous surprend, de même plus tard que le revirement pour raison de… succès pédagogique !

On retrouvera un bel humour dans les couloirs de Versailles avec les réflexions des élèves, et surtout, la joie de ce couple d’enfants aussi enchanté qu'à Disney. Oui, on comprend Seydou d'avoir voulu revoir le lit de Louis XIV pour un selfie avec Maya, son amoureuse. En tous cas, malgré sa peur de les avoir égarés, François adhère. Et plus que nous redonner espoir dans l'organisation de l'Éducation (ô désillusion !), le moment nous apporte une lueur de foi dans l'humanité à la lumière de certains de ses acteurs, récompensés par la beauté d'une chorale ou l'interprétation théâtrale de leurs élèves.

Le résultat final obtenu dépasse d'ailleurs parfois la conviction de certains enseignants : ici, la prof de musique reçoit au quintuple les fruits d'un travail qu'elle était loin d'espérer. Et même à la base plus déterminé qu’elle, François aussi se laisse chavirer par ce que les élèves sont capables de donner. Particulièrement appréciable, la fin du film qui ne versera pas dans un pathos débordant, ni côté adultes, ni côté enfants, avec juste ce qu'il faut d'émotion et d'optimisme quant à leur devenir à moyen et long terme. On peut quand même tout espérer. Le contrat est rempli: chacun a reçu sa part, et même une jolie part insoupçonnée. Et comme d'habitude, petite question subsidiaire: que contenait le cadeau destiné à Agathe "à n'ouvrir qu'une fois arrivée au Canada" ? Bien entendu, j'ai mon idée (dans un paquet peut-être un peu trop volumineux !). A très bientôt.

Aucun commentaire: