lundi 29 juin 2015

Courir ou mourir

Mon exploration semi-consciencieuse des classiques des années 70 m'a fait m'arrêter il y a trois petites semaines sur Marathon man. J'étais confiant sur la capacité du film à me plaire, mais je suis sorti déçu. Quelque chose dans cette histoire n'a pas su me convaincre. Rien de grave, je suppose: c'est sûrement une question d'atmosphère. Peut-être parviendrez-vous à mieux combler les failles du scénario...

Thomas "Babe" Levy termine des études en histoire. Il voit rarement son frère, Henry "Doc", et l'imagine homme d'affaires, en course permanente entre les avions. Thomas, lui, court aussi, pour préparer un marathon, sans doute, et peut-être pour épater Elsa, une jolie fille qu'il a rencontrée sur son campus. Sa petite vie rangée et ordinaire sera bientôt bousculée sur fond d'attaque terroriste et de crimes nazis impunis. J'ai parlé de "failles du scénario": je ne veux pas prétendre que ce dernier est mal écrit, mais bien que, comme d'autres, il manie habilement l'ellipse pour nous laisser tricoter nos propres conclusions autour de ce qui ne nous est pas montré. Marathon man est un film d'ambiance, qui joue sur le fait que le spectateur n'a pas de coup d'avance par rapport au héros. On ne sait jamais ce qui va arriver ! Suspense appréciable, certes, mais j'ai un peu perdu le fil conducteur.

Les acteurs ne sont pas en cause: Dustin Hoffman et Laurence Olivier s'offrent une joute étonnante, même si leurs scènes communes restent rares. Personnages secondaires, Marthe Keller et Roy Scheider font honnêtement le boulot: rien à redire de ce point de vue, donc. Qu'est-ce qui coince, alors ? Je ne sais pas l'expliquer exactement. J'ai même bien apprécié quelques séquences, telle la course-poursuite nocturne ou la déambulation dans le quartier juif de New York. Marathon man me laisse toutefois une impression de frustration. J'aime assez l'idée que les choses échappent (largement) au contrôle du principal protagoniste, mais il m'a manqué un petit quelque chose pour m'emballer vraiment. J'ai su ensuite que les scènes les plus dures avaient été coupées au montage et je me demande si ce n'est pas là que j'aurais trouvé un peu plus de noirceur. Tant pis pour cette fois...

Marathon man
Film américain de John Schlesinger (1976)

Il est possible que je me sois montré trop exigeant à l'égard du film. Dustin Hoffman et John Schlesinger, c'est aussi Macadam cowboy ! Cette référence - que j'aime beaucoup - a pu influencer mon regard sur cet autre classique présenté aujourd'hui: votre point de vue m'intéresse. En attendant, quitte à voir un personnage de cinéma perdre les commandes de son existence, je recommande plutôt Duel.

----------
Deux avis valent mieux qu'un...

En contrepoint, celui de "L'oeil sur l'écran" est très largement positif.

dimanche 28 juin 2015

Quatre jours, quatre euros

Un tout petit message aujourd'hui: je voulais simplement rappeler aux étourdis que la Fête du cinéma édition 2015 commence ce matin. Le principe de l'opération est simple: jusqu'à mercredi inclus, la place de base (hors-3D) ne coûte que 4 euros dans les salles participantes. C'est l'occasion rêvée de faire le plein de films, quitte à sortir un peu des sentiers les mieux balisés. Je ne saurais trop vous y encourager !

Si j'ai bien tout compris, 4 millions de cartes à gratter ont été éditées pour permettre aux plus chanceux des spectateurs d'obtenir un cadeau supplémentaire, de la simple place de cinéma à l'invitation exclusive au prochain Festival de Cannes. C'est plutôt tentant, n'est-ce pas ? Petit rappel historique: la Fête du cinéma existe déjà depuis 1985. Cette année, dans sa campagne promo, elle invite les gens à relever la tête pour... quitter le petit écran de leur smartphone et s'adonner aux plaisirs du grand format. La Fédération nationale des cinémas français espère bien dépasser les quelque 3 millions de tickets vendus l'an passé. Moi, curieusement, je n'avais alors vu que deux films. Très honnêtement, ce n'est pas forcément mon but d'en découvrir davantage: un tarif réduit ne suffit pas - toujours - à mon bonheur...

samedi 27 juin 2015

D'autres affranchis

Le cinéma américain aime décidément les truands. J'aurais pu penser que Ridley Scott avait reçu une commande pour American gangster. Or, il s'avère qu'au générique final, le Britannique apparaît deux fois plutôt qu'une: comme réalisateur, certes, et comme co-producteur. J'en conclus que le long-métrage lui tenait réellement à coeur. Soit. Tonton Ridley était meilleur à ses débuts, je trouve, mais tant pis...

American gangster n'est pas un mauvais film. Comme plein d'autres de ce début de siècle, il s'inspire d'une histoire vraie, celle d'un caïd new-yorkais, parrain de la drogue de la fin des années 60 au milieu des années 70. Ce brave homme avait compris qu'il pouvait tirer profit de la guerre du Vietnam en se fournissant Asie et en faisant entrer la marchandise sur le sol américain par les convois militaires de retour au pays. Seul mon souci de ne pas dévoiler un élément-clé de la fin du film m'empêche d'en dire davantage sur ses méthodes. Pour la bonne bouche, je soulignerai juste qu'au moment où il est tombé, Frank Lucas avait de très nombreuses complicités policières. Le long-métrage prend le parti de montrer qu'il existait aussi des flics intègres: l'un deux, Richie Roberts, est le second personnage principal du scénario. Une bonne idée de mise en scène: les deux adversaires sont d'abord filmés séparément. Une (longue) intro assez bien ficelée.

Sachant que le film dure deux bonnes heures et demie, vous aurez largement le temps de vous faire une idée précise de ses qualités. Objectivement, c'est de la belle ouvrage, une reconstitution soignée de l'Amérique de Nixon, emballée dans une BO aux petits oignons. Quant aux acteurs, ils sont plutôt bons, eux aussi: Denzel Washington apporte un vrai charisme à cet insaisissable criminel et Russel Crowe m'a paru plus sobre - et donc meilleur - que dans bien d'autres rôles. Attention: pour apprécier American gangster, je vous conseillerais vivement... d'éviter de trop lui en demander. Il me paraît très clair qu'il ne révolutionnera pas le genre et qu'il reste même fort éloigné des meilleures références. C'est un produit de divertissement, disons. Peut-être trouverez-vous d'ailleurs la fin assez "angélique". Wikipédia évoque le sort des vrais Frank Lucas et Richie Roberts: vous pourriez être surpris ! La conclusion du scénario est en réalité assez proche...

American gangster
Film américain de Ridley Scott (2007)

Bien entendu, quand on marche sur les brisées d'un Martin Scorsese ou d'un  Francis Ford Coppola, il faut avoir du culot ET du talent. Bilan: Les affranchis et Le parrain restent encore bien loin devant. Même sorti des communautés irlandaises ou italiennes, Ridley Scott arrive sans doute un peu tard pour soutenir la comparaison. J'accorde tout de même quatre généreuses étoiles au film: je l'ai vu sans ennui.

----------
Une anecdote pour être complet...

Une fin alternative a été tournée, qui aurait encore prolongé le film de quelques minutes - et mieux rendu compte de la véritable histoire. Avis aux amateurs: cette séquence se trouve facilement sur Internet.

Plusieurs de mes petits camarades livrent leur analyse...
Le rédacteur de "L'oeil sur l'écran" dit avoir trouvé le film froid. Pascale et Chonchon sont sensiblement sur la même longueur d'onde. Dasola trouve même (je cite) qu'il délivre "un message douteux". Princécranoir, lui, a rejoint deux fois le camp de la défense, ici et .

jeudi 25 juin 2015

À distance

Alex et Sergi, elle artiste photo, lui enseignant, vivent ensemble depuis sept ans, confortablement installés dans un appartement barcelonais. Un dimanche, après qu'ils ont fait l'amour, Alex apprend qu'elle est invitée en résidence... à Los Angeles. Sergi, qui espérait devenir père, fait la moue, mais, finalement, accepte de la laisser partir pour un an. Un carton-titre. 10.000 km vient de commencer...

Ce long-métrage d'un jeune réalisateur catalan m'en a mis d'emblée plein la vue: de bonne longueur, la scène pré-générique est réalisée sous la forme d'un unique plan-séquence, d'une virtuosité épatante. Le fait qu'ensuite, Alex et Sergi soient (presque) toujours séparés physiquement renforce l'importance de ce lancement et son impact émotionnel. L'autre bonne idée du cinéaste, c'est de s'être contenté de deux acteurs - et personnages - pour raconter cette histoire simple. Difficile de ne pas s'identifier à ce duo en proie aux affres d'un amour compliqué par la distance: les deux protagonistes connaissent en fait une situation qui pourrait nous arriver à tous. Peut-être que certains d'entre vous la trouveront trop archétypale pour être honnête. Moi, 10.000 km a parfaitement su m'embarquer.

Après le brillant plan-séquence inaugural, donc, le film est subdivisé en une suite de petites scènes de la vie quotidienne, en images parfaitement nettes ou captées par l'intermédiaire des webcams qu'Alex et Sergi utilisent pour communiquer. Les passionnés d'Internet seront en terrain familier, devant Skype, Facebook ou Google Maps. Sans tomber dans le piège de la dénonciation facile, le scénario démontre habilement que ces outils, utilisés à outrance, renforcent finalement l'ultra-moderne solitude de ceux qui s'en servent. Constat déjà formulé, certes, mais dressé ici avec tact et, parfois, poésie. Quand nos tourtereaux virtuels dansent avec leurs écrans, la situation ne paraît pas si absurde. 10.000 km nous parle de l'air du temps. Ouverte, sa conclusion semble pourtant devoir céder à l'amertume...

10.000 km
Film espagnol de Carlos Marques-Marcet (2014)

J'imagine que le long-métrage ne connaîtra - au mieux - qu'un succès d'estime, mais je suis heureux que l'Espagne ne soit pas réductible au(x) seul(s) talent(s) de Pedro Almodovar. Je me dois de souligner également que cette histoire d'amour distant m'a fait songer à Her. Les sentiments sont-ils solubles dans la technologie ? La question reste posée. J'ai bien aimé le début de réponse du film d'aujourd'hui.

mercredi 24 juin 2015

Trop lointaine galaxie

Je ne doute pas que la sortie prochaine d'une nouvelle trilogie apportera son lot de débats, d'avis mal assurés et d'assertions définitives. Pour ma part, à ce stade, je me dis que c'est une chance que George Lucas ait bien revendu ses droits sur la galaxie Star wars. J'ai revu dernièrement l'épisode III, La revanche des Sith, et me suis presque ennuyé. Aurais-je en fait passé l'âge ? Sombre perspective...

Je me rends compte aujourd'hui qu'il n'est pas facile d'appréhender cette histoire sans référence aux cinq (!) films antérieurs. Quelqu'un dans la salle est-il tout à fait étranger à cet univers ? Je dirais simplement pour renseigner le (ou les) profane(s) qu'il est ici question d'une République interstellaire en pleine guerre civile et menacée d'implosion du fait des ambitions à peine cachées d'un sénateur tenté par les pleins pouvoirs de la dictature. Le reste ressemble à un jeu vidéo, entre batailles rangées dans les étoiles et courses-poursuites entre vaisseaux spatiaux. Ah ! Cet opus s'offre aussi quelques apartés "dramatiques" autour des amours contrariées d'une princesse au coeur pur et d'un apprenti chevalier à la loyauté franchement discutable. Innovant dans les années 70, période à laquelle la première trilogie rencontrait un succès XXL, ce type de récit est désormais banal. Ouais... le constat est amer: j'ai presque trouvé ça cucul-la-praline !

N'exagérons rien: pour être franc, je pense que La revanche des Sith doit être un tout autre spectacle sur un écran de cinéma. Révérence gardée envers George Lucas, je vais donc attendre la sortie cet hiver de l'épisode VII (réalisé par J.J. Abrams) avant de juger de Stars wars dans sa globalité. Dix ans ont passé, assez pour un nouveau départ. Maintenant, pour tout dire, j'aimerais revoir les épisodes IV, V et VI, sortis respectivement en 1977, 1980 et 1983. Cette "suite anticipée" me paraît d'une qualité supérieure à celle des films plus récents. J'étais mieux entré dans les personnages, je crois, qu'on avait confiés alors à des acteurs peu connus. Désormais, les génériques de fin ressemblent un peu trop à un bottin mondain - c'est un peu dommage. Cela étant dit, trêve de critiques: le programme qu'offre cette saga demeure tout à fait acceptable en termes de grand cinéma d'action. Cet épisode III, juste en France, c'est 7,2 millions de tickets vendus !

Star wars épisode III - La revanche des Sith
Film américain de George Lucas (2005)

Premier aboutissement, donc: cette trilogie 1999/2002/2005 s'affiche désormais au complet sur Mille et une bobines. Cela vient confirmer aussi que je préfère souvent les vieux films à leurs suites modernes. Du côté SF, il faudra bien que je me décide à voir Alien (notamment). D'ici là, peut-être que j'aurais revu les Star wars des débuts. Maintenant, vous avez peut-être d'autres classiques à me conseiller...

----------
La guerre des étoiles se poursuit ailleurs...

Quelques images de l'hexalogie sont publiées sur le blog d'Ideyvonne. Chez "L'oeil sur l'écran", on regrette l'absence de rêve et d'émotion. Pour plus d'enthousiasme, lisez donc "Mon cinéma, jour après jour" ! Vous noterez au passage que "Ma bulle" (Princécranoir) aime aussi. 

mardi 23 juin 2015

La mauvaise réputation

Croyez-vous que quelques poils puissent changer la face du monde ? Moi, non. N'empêche ! Aussi fou que cela paraisse, certains ont dit que pour avoir gardé la moustache qu'il portait alors, Gregory Peck est le premier responsable de l'échec public de La cible humaine. Loin de ces considérations velues, j'ai pour ma part pris du plaisir devant ce vieux western en noir et blanc, petite madeleine oubliée...

Jimmy Ringo aimerait raccrocher. Les dialogues ne s'étendent pas vraiment sur son passé, mais notre homme a la double réputation d'être une fiche gâchette et un criminel. Les habitants de Cayenne espèrent donc qu'il ne restera pas longtemps en ville ou que le shérif lui passera vite une corde au cou. Les plus aventureux se risquent même à provoquer une incartade pour éliminer, espèrent-ils, le tireur le plus rapide de l'ouest. Mais bon... Jimmy Ringo préférait passer inaperçu, retrouver la femme qu'il a aimée autrefois et devenir enfin, après des années d'errance, un honnête homme. La cible humaine m'a plu pour ce personnage d'anti-héros, bien peu aidé dans sa quête de rédemption. Le cinéma américain est décidément une source inépuisable de personnages soucieux de corriger les erreurs du passé. En creux, le portrait d'une société faussement charitable se dessine alors: les grands principes ne peuvent étancher la soif de vengeance.

Bien écrit et bien joué, ce western devrait vous plaire si vous êtes amateurs du genre: c'est une très honnête petite histoire, sans blabla inutile. Sa durée ne dépasse pas les 80 minutes - à recommander donc pour une soirée plateau-télé rapide. Un aspect que j'ai apprécié plus particulièrement: l'action se déroule presque en temps réel. Jimmy Ringo fait en réalité face à une double menace: il ne maîtrise que partiellement la situation, pouvant compter sur quelques alliés. L'idée est tout de même qu'il reste sur le qui-vive, à la fois obligé d'attendre et sommé de partir. Il en résulte une forme de suspense intéressante, à défaut d'être tout à fait originale. La cible humaine est un long-métrage efficace: il m'a offert ce que j'étais venu chercher... et même un peu plus. Quand le prétendu bad boy croise l'amicale locale des dames patronnesses, le quiproquo qui s'ensuit s'avère franchement risible. Bref... voilà du bon petit cinéma vintage.

La cible humaine
Film américain de Henry King (1950)

Précision: le film est aussi connu sous le titre L'homme aux abois. Attention alors à ne pas le confondre avec un autre, sorti deux ans plus tôt, avec Burt Lancaster et Kirk Douglas ! Pour rester aujourd'hui sur mon western, je me dois inévitablement de faire une comparaison avec un grand classique: Le train sifflera trois fois. Fred Zinnemann l'emporte peut-être alors, mais de peu. Voyez donc... les deux films !

----------
Pour lire un autre avis sur la question...

Je vous renvoie désormais vers un site-ami: "L'oeil sur l'écran".   

dimanche 21 juin 2015

Intimité partagée

Le Japon est un pays qui m'intéresse - et m'attire - de plus en plus. Faute d'y être déjà allé en vacances, je suis heureux d'en découvrir quelques facettes par l'intermédiaire du cinéma. La maison au toit rouge m'a offert une nouvelle opportunité: le récit de ce film récent court essentiellement sur une dizaine d'années, entre 1935 et 1946. Un long flash-back nous est proposé, sur l'histoire de deux femmes...

La première, Taki, est une modeste campagnarde, placée au service de la seconde, Tokiko. Leur évidente différence de statut social n'empêche pas les deux femmes de bien s'entendre. En suivant chacun des pas de Taki, la caméra nous familiarise aussi avec Tokiko, l'idée étant visiblement d'illustrer la vie d'une famille japonaise "ordinaire" à la veille et pendant toute la seconde guerre mondiale. Le parti-pris du réalisateur consiste à tourner l'essentiel de ses plans à l'intérieur même du foyer. Quelques exceptions notables font avancer l'intrigue autour d'un possible adultère, mais La maison au toit rouge demeure foncièrement un film cloisonné. Une sensation d'intimité partagée pourrait vous saisir si vous tombez en empathie avec les héroïnes. Les quelques scènes au présent n'ont pas forcément le même impact.

Une chose est sûre: les équipes techniques ont fait du beau travail pour donner de la consistance à ce décor (un peu trop ?) soigné. Personnellement, sans m'emballer tout à fait, j'ai apprécié la qualité de cette reconstitution, mais aussi et surtout cette volonté de laisser les événements historiques hors-champ. La maison au toit rouge interroge subtilement sur la mémoire et l'importance que peut revêtir le fait de vivre concrètement les choses pour en avoir une vision juste. Vous aurez très certainement deviné que le long-métrage aborde certaines questions sensibles avec pudeur, mais je dois dire aussi qu'il n'est pas tout à fait dépourvu d'humour. Vous apprendrez que le film adapte un roman. Le réalisateur est presque contemporain de ses personnages: Yôji Yamada, 83 ans, a fait ses débuts en 1960 !

La maison au toit rouge
Film japonais de Yôji Yamada (2014)

Je crois que c'est inévitable: ce type de films charrie avec lui d'innombrables références aux grands maîtres japonais classiques. Pour dire les choses comme elles sont, je préfère encore aller piocher du côté du cinéma actuel: Still walking me reste alors en mémoire comme un film comparable. Du beau cinéma, certes, mais qui reste un cran en-dessous des classiques du genre, comme Voyage à Tokyo.

----------
Ailleurs sur le Web...

Je dirais que Pascale se montre un peu plus enthousiaste que moi. 

samedi 20 juin 2015

Viril, mais...

Eastwood, épisode 19: après cette chronique, ce sera le nombre précis de longs-métrages réalisés par ce cher Clint et présentés ici. Ajoutez ceux où il joue sans tenir la caméra: je me rapproche doucement mais sûrement de l'intégrale ! Je vais donc vous l'avouer sans attendre davantage: Le maître de guerre n'est pas un sommet. C'est un divertissement potache et sans émotion. Vite vu, vite oublié.

Une  petite remontrance d'abord contre France 3, qui m'avait permis de l'enregistrer, sans me laisser la possibilité de choisir la VO ! Souvent peu disert dans ses films, Clint, ici, change son fusil d'épaule et cause toujours. Tu m'intéresses ? Euh... moyennement, donc. Cette fois, il a endossé le treillis du dénommé Thomas Highway, sergent instructeur du corps des Marines. Ses états de service remarquables contrastent fortement avec son attitude hors-combat. Concrètement, notre homme n'est pas du genre à se laisser piétiner les orteils, qu'il a délicats. Ceux qui s'y sont essayé se sont vus administrer une bonne vieille dérouillée des familles. Bref... le film imagine ce que pourrait donner un tel soldat à la tête d'une bande d'ahuris, censés pourtant représenter la fierté de l'armée américaine.

Vous avez deviné, non ? Bien sûr que, tout en crachant copieusement sur l'incompétence de sa hiérarchie, le bon sergent va savoir redresser tout ce petit monde... et au pas de course, évidemment ! Autant le dire franchement: le tout ne s'embarrasse pas de subtilité. C'est un festival de testostérone et de répliques musclées, un film viril, mais incorrect ! Blagueur jusqu'au bout, ce bon vieux Clintounet s'octroie une petite déviation pour raconter une histoire d'amour inaboutie et fait mine alors de s'intéresser à la psychologie féminine. C'est tellement décalé que ça en devient risible: Le maître de guerre doit, je crois, être regardé après extinction complète des neurones. Heureusement que tout ça ne se veut pas très sérieux: on est passé tout près de la case des nanars, je dois dire. Ça ira pour cette fois...

Le maître de guerre
Film américain de Clint Eastwood (1986)

Le titre original (Heartbreak Ridge) fait référence à une bataille sanglante de la guerre de Corée (1950-1953). Je crois que le script entier correspond plus aux codes américains qu'aux attentes du public français - les scènes finales à la Grenade paraissent "artificielles" alors même qu'elles illustrent bel et bien des événements historiques. Un Eastwood de série, comme Jugé coupable ou Créance de sang...

----------
D'autres opinions à lire sur le film ?
Une: celle de Chonchon, qui est vraiment très proche de la mienne. Comme moi, je crois qu'elle attend davantage de notre vieil ami.

jeudi 18 juin 2015

Rédemption ?

Le cinéma indien est le plus productif du monde, mais je ne crois pas qu'il soit également celui qui s'exporte le mieux. Si je suis allé voir Titli - Une chronique indienne, c'est d'abord par curiosité. Je savais vaguement qu'il était question de deux grands frères qui organisent un mariage forcé pour leur benjamin, mais j'attendais autre chose que ce que j'ai vu. Une violence explicite et continue traverse le film.

Titli, c'est le titre, oui, et c'est aussi le prénom du personnage principal, ce jeune adulte à qui on entend donc imposer une épouse. Lui rêve plutôt de quitter son abominable famille, ses frères aînés voleurs de voitures et meurtriers, mais également son père impassible et oisif, figée dans le pseudo-culte de sa femme disparue et d'un grand-père fantôme. J'avais imaginé que le scénario m'inciterait à avoir pitié de ce brave garçon, prisonnier des siens. Grossière erreur: si le personnage cherche bien le meilleur moyen d'enfin vivre sa vie, il n'a visiblement ni état d'âme, ni attention véritable vis-à-vis de ce qui peut arriver aux autres. L'intrigue progresse lentement et révèle petit à petit que, sous l'apparence d'une victime, se cache un esprit aussi sombre que celui des autres. Malgré quelques maladresses, le long-métrage s'avère très efficace pour illustrer les brusques poussées de fièvre de son prétendu héros.

Même s'il est plein de couleurs, Titli est donc bel et bien un film noir. Les acteurs sont excellents, alors même que certains sont amateurs. Parmi eux, le réalisateur a fait appel à son père: "Le film est devenu un concentré de mes trente premières années et de ma relation compliquée avec lui. J'avais fait le pari de m'en débarrasser... et j'ai réalisé qu'inconsciemment, je devenais de plus en plus comme lui. Physiquement, je m'en étais détaché, mais l'oppresseur que j'essayais de fuir était profondément enraciné en moi". Un tel discours valide parfaitement la conviction de ceux qui considèrent le long-métrage comme le récit d'une lente émancipation. Je dois alors vous avouer que je suis beaucoup moins optimiste: même si la toute fin du film laisse une petite porte ouverte à la rédemption et au changement véritable, je ne crois guère que le personnage puisse échapper durablement à un funeste destin. Cela dit, c'est très certainement aussi de cette incertitude que peut venir l'intérêt à découvrir ce film. Si vous vous sentez assez "solides", je ne peux que vous le conseiller.

Titli - Une chronique indienne
Film indien de Kanu Behl (2014)

Il faut reconnaître au réalisateur un vrai talent: son premier film dénote singulièrement avec les habituelles productions de l'Inde. Surtout tourné en extérieurs, le long-métrage frappe fort et juste. J'ai pensé à une petite influence des frères Coen. Kanu Behl, lui, cite plutôt Jacques Audiard - ça se tient, notamment pour Sur mes lèvres. Après coup, face au déterminisme social, je pense aussi à Bullhead.

----------
Cool ! Aujourd'hui, je peux compter sur un avis contraire...

Pascale parait avoir beaucoup - oui, BEAUCOUP - moins accroché. Objectivement, ce qu'elle dit sur la vision des femmes est très juste.

mercredi 17 juin 2015

Deux soeurs

J'ai voulu voir La rumeur sur la base de mon a priori très favorable quant à la complémentarité d'Audrey Hepburn et Shirley MacLaine. Bingo ! Les deux vedettes du grand cinéma hollywoodien dit classique brillent dans ce film, chacune dans son propre registre, la première toute en retenue, la seconde avec plus d'emphase. Les deux femmes réelles s'effacent: aussitôt, je n'ai plus vu que les deux personnages.

Audrey / Karen Wright et Shirley / Martha Dobie sont deux amies. Unies depuis les bancs de l'université, elles ont créé et dirigent ensemble un pensionnat de jeunes filles. Celui qui tient lieu d'élément perturbateur s'appelle Joseph Cardin (James Garner). Ce médecin hospitalier doit épouser Karen: Martha craint alors de se retrouver seule aux commandes de leur petite école. La situation s'envenime soudain, d'autant plus fort qu'une élève turbulente laisse entendre qu'une relation tout autre que professionnelle lie les deux femmes. Face au scandale, les parents retirent leurs enfants de l'établissement de Karen et Martha, plongées alors dans la ruine et l'opprobre. Beaucoup ont dit qu'aujourd'hui, cette histoire paraît "poussiéreuse". Je ne suis pas d'accord: La rumeur pose d'abord le constat essentiel des conséquences dévastatrices que peuvent avoir les informations non-vérifiées. Les allégations étant en l'occurrence celles d'un enfant menteur et manipulateur, j'ai pensé parfois aux procès d'Outreau. Inutile de remonter aux sixties pour dire la gravité de la calomnie...

Après, bien sûr, le film parle d'homosexualité. Là aussi, mon opinion semble diverger de celle de la majorité. Après coup, j'ai en effet lu plusieurs critiques sur le scénario, mettant en avant une idée "simple" selon laquelle William Wyler ne va pas au bout de ses (belles ?) idées. Concrètement, il aurait voulu défendre les homos, mais, au montage, aurait coupé les passages les plus révélateurs. J'ai cru comprendre qu'il existait deux versions du film, sans avoir vraiment pu m'assurer de celle que j'ai vue. Bref... ce que j'ai regardé m'a semblé pudique et, pour tout dire, plus subtil qu'une dénonciation trop appuyée. Constamment ou presque, on reste dans le domaine de l'incertitude quant aux sentiments réels de Karen et Martha l'une pour l'autre. Attention, âmes sensibles: La rumeur est un drame. Sa conclusion m'a saisi: sur mon canapé, j'en ai même... frissonné d'émotion ! Quelques petites imperfections dans la coupe des plans et le jeu outrancier de la petite Karen Balkin n'ont pas gâché mon plaisir. Audrey Hepburn et Shirley MacLaine, elles, sont justes et très belles.

La rumeur
Film américain de William Wyler (1961)

Pour tenter de vous convaincre de la modernité du propos, j'ose désormais une comparaison avec Le secret de Brokeback Mountain. D'après moi, au-delà même de d'homosexualité, les deux films parlent de la difficulté à bien mesurer parfois la teneur de ses sentiments. Dans le contexte des années 60, où une jeune femme respectable devait d'abord se marier, c'est frappant... et sûrement pas simpliste !

----------
J'ai encore quelque chose à dire...

Une anecdote: le film est en fait une adaptation cinéma d'un triomphe théâtral de Lillian Hellman, The children's hour (1934). L'auteure connut des heures de gloire et devint même, dès 1936, la scénariste d'une première version de sa pièce sur grand écran: Ils étaient trois. Derrière la caméra, on retrouvait alors un certain... William Wyler. Dans les années 50, Lillian Hellman fut une victime du maccarthisme.

Deux regards féminins pour finir...
L'amie Chonchon expose le sien sur "Mon cinéma, jour après jour". Ideyvonne, elle, choisit de montrer quelques images supplémentaires.

mardi 16 juin 2015

Frissons

Je vous disais récemment avoir renoncé à un Polanski pour privilégier une soirée au cinéma avec un pote: il est temps désormais d'évoquer le film initialement programmé ce soir-là et que j'ai vu... trois jours plus tard. Je crois que je commence à avoir une vision assez précise de la filmographie du cinéaste franco-polonais: je me permets donc de classer Le locataire parmi ses réussites, malgré quelques défauts.

Comme dans bien des films que j'aime, le héros est ici un anti-héros. Le dénommé Trelkovsky emménage un beau jour dans un deux-pièces parisien. Une concierge peu aimable lui accorde quelques minutes seulement pour visiter l'appartement sous sa conduite et lui indique que la précédente occupante a voulu se suicider en se défenestrant. Après d'infructueuses négociations avec le propriétaire, notre homme accepte malgré tout le drôle de contrat de bail qui lui est proposé. Trouve-t-il qu'il lui ressemble ? Roman Pokanski fait le choix d'interpréter lui-même ce personnage étrange, dont la complexité psychologique va se dévoiler petit à petit, à mesure que son logement s'avérera de plus en plus inconfortable. Dans un immeuble reconstitué si beau qu'il a valu un César à son concepteur, Le locataire propose une réelle montée d'angoisse, comme j'en ai peu vu au cinéma. Singulier, le cocktail m'a finalement paru aussi bizarre qu'envoûtant.

Vous reprendrez bien un peu de frissons ? Ce que j'ai trouvé extra dans ce film, c'est qu'on comprend que Trelkovsky est pour beaucoup dans la paranoïa qui l'oppresse progressivement, mais qu'il est tombé aussi sur des voisins (et amis) peu commodes. C'est un fait: certains des personnages annexes le ramènent presque toujours à ses origines étrangères. De telles situations sous la caméra d'un réalisateur juif ayant vécu dans un ghetto lors de la seconde guerre mondiale m'apparaît tout sauf anodin. À chacun, en fait, de se faire son idée. Pour confronter la mienne, je serais curieux de lire Le locataire chimérique, le roman de Roland Topor dont le film est l'adaptation. Pour rester du côté cinéma, je souligne également que Le locataire est le premier film de Roman Polanski tourné en France. On y voit d'ailleurs quelques têtes connues: Isabelle Adjani, Josiane Balasko, Michel Blanc, Gérard Jugnot, Rufus, Claude Piéplu et Bernard Fresson. Quelques vieilles gloires US complètent le casting. Mon seul bémol véritable: une fin un peu rapide. Rien de franchement rédhibitoire...

Le locataire
Film français de Roman Polanski (1976)

L'histoire n'est pas la même, mais le film m'a fait penser à Psychose. Le scénario est différent, là encore, mais j'ai aussi songé à Shining. C'est bien, vous l'aurez compris, pour l'ambiance des longs-métrages que je fais cette double comparaison. Les plus cinéphiles auront noté que Roman Polanski suit Alfred Hitchcock et précède Stanley Kubrick. Simple question de chronologie, d'accord ? J'ai aimé les trois oeuvres.

----------
Un dernier mot technique...
Pour l'image, Roman Polanski a fait appel à Sven Nykvist, le directeur photo de 11 films d'Ingrid Bergman. Au montage, Françoise Bonnot reçoit l'aide d'un certain Jacques Audiard. Je dirais pour conclure qu'une bonne partie de l'efficacité du film tient à l'atmosphère sonore. Portes grinçantes, petites gouttes d'eau et musique de Philippe Sarde.

Et si vous en demandez encore...

Le film fait également l'objet d'une chronique sur "L'oeil sur l'écran". Ideyvonne, elle, parle du travail de Pierre Guffroy, le chef-décorateur.

lundi 15 juin 2015

Nos chères voisines

Je crois l'avoir déjà dit ou suggéré: dans mon idée d'une francophonie plus ouverte qu'elle ne l'est aujourd'hui, je serais très heureux de voir plus de films belges en France. Je constate qu'au cinéma, les Belges sont présents en nombre pour collaborer avec des artistes français. Pour prolonger ma chronique d'hier, je me suis dit qu'il serait bien d'évoquer aujourd'hui six femmes, actrices et originaires de Belgique.

Émilie Dequenne
Si je reviens sur l'interprète de Rosetta, c'est bien parce que, 17 ans plus tard, elle fait partie des comédiennes dont le seul nom attire forcément mon attention. Un petit paradoxe: j'ai un souvenir médiocre de son deuxième rôle, dans Le pacte des loups (2001). Récemment, elle m'a ému dans À perdre la raison et Pas son genre. J'espère la voir encore un moment: elle n'a que 33 ans, après tout. Par accident, son prochain film cinéma, doit sortir... prochainement.

Cécile de France
Son nom résonne comme une blague belge, mais je crois pouvoir dire que nous l'avons plus ou moins adoptée. Elle a tout de même présenté les César et, il n'y a pas encore un mois, remis la Palme d'or ! Maintenant, côté films, c'est autre chose: à 40 ans bientôt, la miss n'est pas souvent perçue pour autre chose qu'une femme-enfant. Dommage, à mon avis: dans Möbius, je l'avais trouvée assez crédible comme possible espionne. J'attends d'autres prestations de ce genre.

Virginie Efira
Avec elle, je dois l'avouer: j'ai encore un certain doute. Percera ? Percera pas ? Son joli minois ne souffre d'aucune réelle discussion. Mais l'ancienne animatrice télé saura-t-elle aller au-delà des comédies légères qui semblent faire l'essentiel de sa carrière sur grand écran ? Possible. Je trouve en tout cas qu'il serait intéressant de la voir s'aventurer dans des films plus pointus que La chance de ma vie. Peut-être bientôt avec Elle, le tout dernier film de Paul Verhoeven ?

Marie Gillain
C'est triste à dire, mais les deux dernières fois que j'ai entendu parler d'elle, c'était pour la couverture du magazine Lui et la sortie (ratée ?) d'un pseudo-film policier, Valentin Valentin. Deux apparitions furtives et un point commun: une presque-quadra nue à l'image. Jamais sensationnelle, la belle mérite tout de même mieux, je crois. J'avais aimé ses contre-emplois dans L'appât ou Ni pour ni contre. En 2016, elle sera encore... la voix de Tigresse (Kung-fu panda 3).

Yolande Moreau
Un p'tit clin d'oeil à une amie belge qui se reconnaîtra: nous sommes tous deux des inconditionnels de la dame. Je dois toutefois admettre qu'il y a encore quelques semaines, je n'avais pas encore réalisé qu'elle n'était pas... française. Toute honte bue, je compte aller voir son prochain film, Le tout nouveau testament, où elle interprétera évidemment un personnage tout à fait incroyable: la femme de Dieu ! Ce serait chouette également de retrouver l'ex-Deschiens au théâtre.

Veerle Baetens
Inutile de prétendre le contraire: je la connais encore très mal. Pourquoi la citer, alors ? Tout simplement parce qu'elle est flamande et que j'avais envie d'évoquer la seule actrice belge néerlandophone connue de moi - elle jouait Elise, la mère, dans Alabama Monroe. Apparemment, la belle a du mal à s'imaginer dans un cinéma français "allergique aux accents" (je cite). Pourtant, depuis 2012, elle chante avec une amie wallonne des chansons qu'elle a écrites... en français.

----------
Et maintenant, le débat est ouvert...

Cette petite liste n'est bien sûr pas exhaustive: j'aurais pu vous parler également de Déborah François, Natacha Régnier ou Pauline Étienne. J'ai même failli ajouter Annie Cordy. Vous avez d'autres propositions ?

dimanche 14 juin 2015

Au bord du gouffre

Sans forcer sur les doses, je continue à découvrir le cinéma - social - des frères Dardenne. Trois semaines après la fin du 68ème Festival de Cannes, je remonte le temps jusqu'à 1999 et leur première Palme d'or: Rosetta. Soit quelques jours de la vie d'une très jeune femme miséreuse. Le film commence quand elle perd son travail, au terme de la période d'essai. Des cris et coups: le sentiment d'une injustice...

Rosetta part en coup de poing et file à 200 à l'heure: la caméra virevoltante ne lâchera plus la jeune "héroïne" d'une semelle. Constat d'évidence: plutôt qu'une révolte, il s'agit de saisir un combat, celui d'une personne décidée à quitter l'extrême précarité par le travail. Honnêtement, on en vient à se demander si c'est seulement possible. En cause, les conditions de vie de la candidate, dont le pseudo-foyer est une caravane qu'elle partage avec sa seule mère, une alcoolique récidiviste, dépourvue de la plus infime des volontés de s'en sortir. Une question se pose alors: celle des moyens employés pour parvenir à un résultat. C'est là que ça gratte: les plus immoraux fonctionnent ! D'une certaine façon, il y a de la gêne à contempler un tel spectacle dans le confort bourgeois d'un appartement provincial. Les Dardenne se déclaraient à l'époque adeptes "du cinéma qui pose des questions". Ce film en propose quelques-unes... sans nécessairement y répondre.

Rosetta, c'est aussi, bien sûr, le film d'Émilie Dequenne. Le premier. L'actrice n'avait pas encore dix-huit ans quand elle est venue chercher son Prix d'interprétation sur la Croisette. Elle avait obtenu le rôle après une annonce parue dans un journal, pour laquelle les Dardenne affirment avoir reçu 2.000 lettres-retours - 300 filles étant retenues ensuite d'après leur photographie ! J'ignore si sa (petite) expérience du théâtre l'aura aidée à convaincre, mais elle est vraiment juste. C'est d'autant plus remarquable que les réalisateurs soulignent aussi n'avoir jamais aucun élément biographique à donner à leurs acteurs. Eux baignent dans une ambiance familiale, avec ici des techniciens déjà embauchés sur des tournages antérieurs, à la photo, au cadre, aux costumes, aux décors, au montage et au mixage - une tribu ! Débutant lui aussi, le talentueux Fabrizio Rongione s'en sort parfaitement: lui qui venait du Conservatoire apporte à cette histoire une petite touche d'humanité, belle et fragile. Je ne rejoins pas ceux qui parlent de misérabilisme, mais oui: toute flamme peut vaciller...

Rosetta
Film belge de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1999)

Je ne connais pas franchement de films - et d'artistes de cinéma ! - qui puissent être comparés à l'oeuvre que j'ai évoquée aujourd'hui. Sans doute serait-il intéressant de revoir Louise Wimmer, qui mène vers (un peu) plus de lumière. On peut aussi citer d'autres Dardenne. Difficile alors de ne pas voir une parenté avec Deux jours, une nuit. D'un mot, donc: je préfère de beaucoup le film présenté ce dimanche.

----------
Pour ceux qui souhaiteraient lire d'autres avis...
Au choix: "L'oeil sur l'écran" et/ou "Mon cinéma, jour après jour".

vendredi 12 juin 2015

Vision de l'avenir

C'était un vendredi soir comme beaucoup d'autres: après une semaine intense au boulot, j'hésitais sur le film à choisir pour me détendre. C'est alors que je m'apprêtais à regarder un Polanski qu'un p'tit coup d'oeil à mon portable m'a fait prendre connaissance d'un texto envoyé par un copain. Moins d'une heure plus tard, j'étais dans un cinéma pour voir À la poursuite de demain. Ce bon vieux Roman attendra...

La première chose qui m'a marqué, dans ce film, c'est la narration. Sans être d'une originalité folle, elle s'avère suffisamment éclatée pour réclamer de notre part une attention soutenue. Je vais tâcher d'être plus clair en disant que les scènes qui s'enchaînent se déroulent à la fois dans le passé (1964), dans un temps qu'on peut imaginer comme étant le présent et, last but not least, dans un futur indéfini. Sans vous dévoiler les ressorts de l'intrigue, je crois pouvoir révéler qu'il sera bientôt question de voyages dans le temps, mais également des conséquences de nos actes d'aujourd'hui sur ce qui pourrait arriver - ou arrivera - demain. De manière quelque peu lourdingue parfois, mais visiblement sincère, le scénario brasse des thèmes vraiment classiques comme le courage, l'optimisme, la responsabilité, l'engagement ou même les sentiments. À la poursuite de demain reste un film Disney, n'est-ce pas ? La bonne vieille morale est sauve.

Je ne vais pas vous raconter d'histoire: je me suis plutôt amusé. Disons que je n'ai rien vu de fabuleux, mais qu'un tel programme convient bien à la vocation vide-neurones du vendredi soir. Le défaut principal du film est d'être un peu long: plus de deux heures en tout pour un récit de cet acabit, c'est légèrement démesuré, je trouve. Cela dit, les aficionados de George Clooney s'en satisferont sûrement. Je dois dire que je l'ai trouvé franchement cabot, mais plutôt sympa quand même d'avoir accepté de participer à cette curieuse aventure. Le reste du casting m'a paru un peu moins convaincant: Hugh Laurie fait difficilement oublier Dr House et Brittany Robertson a bien du mal à crédibiliser son personnage d'ado - il faut dire qu'elle a 25 ans. Raffey Cassidy s'en sort mieux en petite fille robot - un rôle touchant. À la poursuite de demain offre le meilleur avec son joli monde imaginaire, un peu d'humour et une scène haletante à la Tour Eiffel ! J'aime rester jusqu'au bout du bout des séances ciné: une habitude qui s'est vue récompensée, cette fois, par le chouette générique final.

À la poursuite de demain
Film américain de Brad Bird (2015)

Comme mon pote Jean-Mi, je le trouve "correct", mais trop enfantin. Une critique que j'ai lue sur le film en parlait comme d'un Matrix destiné à un public familial... et c'est assez juste. Certains blogueurs citent les productions Amblin en référence - là, ça me paraît exagéré. Nota bene: Brad Bird a débuté dans l'animation (cf. Le géant de fer). Deux de ses films ont eu l'Oscar: Les indestructibles et Ratatouille.

----------
Si vous souhaitez lire une autre chronique...

C'est facile, puisque possible d'un clic: "Sur la route du cinéma". Toujours d'un clic, vous pouvez consulter "Le blog de Tinalakiller". Dernière possibilité de lecture: celle de l'avis publié sur "Callciné".

jeudi 11 juin 2015

Princesse et licorne

Mon opérateur Internet estime que U est un film pour les 6-14 ans. Rien que pour ce titre incroyable, j'ai voulu découvrir ce dessin animé et juger par moi-même. Bon... c'est vrai qu'il m'a plutôt semblé orienté vers le (très) jeune public, mais je ne me suis pas ennuyé. Franchement, j'ai même apprécié le spectacle, tout à fait différent des standards du genre, côté américain, japonais ou même français.

L'explication, c'est peut-être que U écarte toute débauche d'effets technologiques et d'images de synthèse pour privilégier les crayonnés. Il faut savoir que le film est le fruit d'une collaboration artistique entre Grégoire Solotareff, qui exerce habituellement le beau métier d'auteur de livres pour enfants, et Serge Elissalde, réalisateur cinéma spécialiste de l'animation. Le scénario nous embarque résolument vers un monde fantastique: Mona, princesse adolescente, est l'amie d'une licorne et, un beau jour, tombe amoureuse d'un chat guitariste. Présenté en ouverture du Festival d'Annecy 2006, le long-métrage s'avère plus dense que ce qu'on peut imaginer de prime abord. Doucement, joliment, il aborde des thématiques sérieuses: la fidélité affective, la tolérance ou la mort, notamment. Pas de quoi effrayer les plus jeunes, qui seront sans doute ravis de faire connaissance avec un lézard, des rats, des lapins et un loup rouge... et mélomane !

La musique est l'un des aspects très réussis de cette oeuvre sensible et atypique. Les amateurs apprécieront sans doute de reconnaître ici la voix et les notes de Sanseverino, artiste d'inspiration tzigane. Techniquement, le film est vraiment chouette: son auteur indique avoir puisé chez Gauguin, Rembrandt ou Magritte, entre autres. L'ensemble du métrage a été "storyboardé" au crayon et l'intégralité des décors d'abord peinte à l'aquarelle, avant d'être retravaillée. Amateurs de doublage, vous entendrez un ensemble de comédiens interprètes de talent, parmi lesquels Isild Le Besco, Vahina Giocante et la regrettée Bernadette Lafont. Du côté des garçons, on retrouve Guillaume Gallienne ou Artus de Penguern. U n'a pas connu le succès dans les salles (à peine plus de 250.000 entrées), mais je le conseille toutefois à ceux d'entre vous qui, en famille ou en solo, sont curieux de découvrir un style assez particulier et de ce fait sympathique. Surprise: les critiques pro cités par Allociné en disent tous du bien. J'ai moi aussi eu du plaisir à m'aventurer au-delà des sentiers balisés.

U
Film français de Grégoire Solotareff et Serge Elissalde (2006)

Un p'tit dessin animé comme ça, de temps à autre, ça fait du bien ! Je crois sincèrement qu'on aurait tout intérêt à découvrir les trésors de l'animation française, une industrie qui, d'ailleurs, s'exporte bien. Je ne montre pas toujours l'exemple, c'est vrai. Si vous êtes tentés d'aller voir plus loin, je ne saurais trop vous recommander les oeuvres de Jean-François Laguionie, comme Le tableau, une petite merveille.

mercredi 10 juin 2015

La fuite

Adele - sans accent grave: elle est allemande - vit dans une ferme avec ses parents. L'adolescente a des envies de suicide. Son destin bascule soudain quand elle croise Timo, qui s'est évadé de prison. Aussitôt, elle passe avec lui un pacte mortel: elle l'aidera à échapper aux recherches de la police si, une fois à l'abri, il s'engage à l'assister pour en finir avec la vie. Tue-moi: le titre du film annonce la couleur.

J'ai profité de son passage sur Arte pour me frotter à ce long-métrage allemand, sorti dans les cinémas français de manière confidentielle. J'ai plutôt apprécié ce que j'ai vu: sans forcément casser trois pattes à un canard, le scénario est assez original pour sortir du lot. Le duo formé par Maria-Victoria Dragus et Roeland Wiesnekker se montre assez talentueux (et complémentaire) pour nous embarquer avec lui. Parce qu'il ne dure qu'une heure et demie, Tue-moi ne se perd pas dans d'inutiles digressions. Il est possible que certains d'entre vous déplorent l'invraisemblance de cette histoire. Moi, j'y ai pensé quelques instants, avant de me décider à ne pas en tenir compte. Sans crier au chef d'oeuvre, je dois dire que j'ai en fait obtenu du film ce que j'attendais de lui: un aimable divertissement. C'est déjà bien.

Il y a aussi quelques belles images dans Tue-moi, les personnages fuyant l'Allemagne pour marcher vers le Sud, la France (Marseille) d'abord et l'Afrique ensuite. Vous vous doutez bien que je vais rester silencieux sur la réussite ou non de leur grand projet. Ce que je peux dire sans trop en dévoiler, c'est qu'un lien étrange finit par unir Adele et Timo, au point que leur périple vous réserve quelques surprises. Malgré tout, il s'agit peut-être ici de se raccrocher à la vie, à SA vie. J'ai tout particulièrement apprécié la fin du film et son image terminale, dont la fixité m'a paru une invitation à imaginer la suite. C'est le genre de conclusion que je peux apprécier quand elle est réussie: c'est bel et bien le cas ici, je trouve. Je suis bien content d'avoir ainsi découvert un peu du cinéma contemporain d'outre-Rhin.

Tue-moi
Film allemand d'Emily Atef (2012)

À quel autre film comparer celui-ci ? La réponse n'est pas évidente. Peut-être qu'il faudrait que je me décide à revoir Un monde parfait de Clint Eastwood pour citer un autre tandem ado / criminel en fuite. Dans ce registre, je me souviens avoir beaucoup aimé Mud. Maintenant, objectivement, il n'y a que peu de ressemblances réelles entre ces longs-métrages. Auriez-vous des suggestions ? Je sèche...

lundi 8 juin 2015

Un dialogue amoureux

S'il fallait que je ne retienne qu'une des qualités du cinéma, je crois bien que je citerais sa grande diversité. Aujourd'hui, je vais évoquer un film minimaliste: Nuits blanches sur la jetée. Je l'ai découvert grâce à mon association et appris du même coup qu'il était l'oeuvre d'un homme de 85 ans - l'âge de Clint Eastwood et de Jean Rochefort. Inédit et détruit, le tout premier opus de Paul Vecchiali date de 1961 !

Nuits blanches sur la jetée est sa toute dernière oeuvre à ce jour. Cette adaptation d'une nouvelle de Fédor Dostoïevski a été réalisée pour 90.000 euros, une somme importante, aux yeux du cinéaste. "Quand je n'ai pas l'argent, je ne fais pas le film", dit Paul Vecchiali dans une interview qu'il a donnée à Télérama, en février dernier. Autant dire qu'il tourne à l'économie. Ici, il s'est aisément contenté d'une poignée d'acteurs, dont lui-même. L'essentiel du film consiste en un dialogue nocturne entre un homme et une femme, que le hasard conduit à se croiser sur un ponton, au bord de la mer Méditerranée. D'abord secrets, mais progressivement de plus en plus confiants l'un envers l'autre, les deux anonymes vont finir par se raconter leur vie. Cette idylle - si tant que c'en soit une - ne durera que quatre nuits...

Je ne vais pas vous dire que le film m'a passionné. Il m'a intéressé. J'éprouve du respect pour les artistes capables de se montrer créatifs avec si peu de moyens (une leçon que beaucoup devraient suivre). Nuits blanches sur la jetée m'a également plu pour ses dialogues soignés: à vrai dire, ils reprennent et modernisent ceux du texte originel et c'est tout à fait réussi. Comme cadreur, Paul Vecchiali fait aussi de belles choses: c'est d'autant plus remarquable que ces images ont été captées à partir d'un appareil photo et d'un smartphone. Inconnus de moi jusqu'alors, Astrid Adverbe et Pascal Cervo parviennent à faire ressentir l'émotion née de leur drôle de rencontre. Au milieu du métrage, une très belle scène dansée m'a offert soudain un surcroit de plaisir visuel. Je ne m'attendais pas à pareil spectacle.

Nuits blanches sur la jetée
Film français de Paul Vecchiali (2015)

Quitte à parler de ce cinéaste, il faudra également que je me décide un jour à voir La maman et la putain, de Jean Eustache, dont il fut un temps le producteur. Cela dit, avant de le faire, je dois signaler que la nouvelle à l'origine de Nuits blanches sur la jetée a connu plusieurs autres adaptations, par Luchino Visconti et Robert Bresson notamment. Il y a peu, elle a aussi inspiré James Gray (Two lovers) !