mardi 30 avril 2013

Au-delà des nuages

Je suis un peu dingue, je crois, mais j'aime ça. Le mois de mars dernier m'a permis d'établir un nouveau record personnel de films vus au cinéma, avec sept séances en tout. La septième ? J'ai accompagné des amis et suis allé voir Cloud Atlas, un film vraiment atypique. Résumer le scénario est un vrai défi. Cette histoire plutôt complexe se découpe en six morceaux, chacun en un lieu et dans une époque qui lui est propre, du 19ème siècle jusqu'à l'an 2200 et quelque. Parfois, des passerelles narratives relient les scènes entre elles. Reste une longue série d'allers et venues dans l'espace et le temps...

Au total, le film dure près de deux heures 45. L'un de mes collègues de travail m'avait prévenu: "Si tu n'accroches pas, tu vas t'ennuyer". Sincèrement, non, je n'ai pas trouvé le temps long. L'éclatement complet du puzzle scénaristique m'a au contraire permis de focaliser mon attention sur l'écran, sans jamais vraiment décrocher. Il faut dire aussi que j'en ai pris plein les mirettes, les images du futur s'avérant franchement captivantes. Cloud Atlas est une réussite formelle indéniable, un grand spectacle qui tend à prouver au passage que la 3D n'est pas foncièrement nécessaire pour apporter un souffle nouveau à la force visuelle du cinéma. Si prestigieux soit-il, le casting fait presque pale figure à côté des mille couleurs de ce feu d'artifices.

Cloud Atlas n'en réunit pas moins une galaxie de stars. Je citerais entre autres Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Hugo Weaving, Ben Winshaw, Susan Sarandon et Hugh Grant, excusez du peu. J'admets humblement que mon appétit limité pour la science-fiction m'a privé de bien cerner l'enjeu de ce qui est si brillamment montré, ce qui me laisse tout de même un sentiment mitigé quant à la valeur du film. Je ne suis pas sûr d'avoir envie de lire le bouquin dont il est issu, d'autant qu'il paraît qu'il s'en démarque très largement. J'ajoute que j'ai compris qu'il était question de l'humanité, de son évolution, de son devenir et d'une de ses caractéristiques majeures: l'amour. Attention: le message n'est pas franchement des plus optimistes...

Cloud Atlas
Film américain de Tom Tykwer, Andy et Lana Wachowski (2012)

Le premier réalisateur est allemand: il s'est fait notamment connaître après avoir signé Cours, Lola, cours et Le parfum. Ses complices, frère "normal" et soeur transsexuelle, sont américains et célèbres dans le monde cinéphile comme auteurs de la trilogie Matrix. C'est avant tout la curiosité qui m'a poussé à découvrir le film d'aujourd'hui. Sans regret aucun, mais pas tellement convaincu. Notons toutefois que certains des acteurs jouent... plusieurs rôles !

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Vous cherchez quelqu'un qui a aimé le film ?
Ne cherchez plus: Pascale ("Sur la route du cinéma") en parle aussi.

dimanche 28 avril 2013

À la recherche du beau

Je ne sais pas encore où je vais m'arrêter. Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que mon appétit pour le cinéma va encore croissant. Je constate aussi que, de plus en plus souvent, ma passion va au-delà de mon goût pour les belles histoires bien racontées. Je me sens chaque fois un peu plus sensible aux images et, de ce point de vue graphique, je me suis émerveillé devant L'artiste et son modèle. Même si je suis allé le voir d'abord pour Jean Rochefort, ce que j'ai vu m'a vraiment beaucoup plu. Oui, j'ai adoré le noir et blanc de ce film et estimé qu'ici, la forme venait sublimer le fond. Un vrai plaisir !

Comme son nom l'indique, L'artiste et son modèle centre son récit sur la relation inédite et privilégiée entre un créateur et la personne qui l'inspire. Jean Rochefort est ici Marc Cros, un sculpteur académique, et la très jolie Espagnole Aida Folch sa très jeune muse. L'action a pour théâtre le sud de la France, au cours des années d'Occupation. Une menace plane sur la relation de ces êtres atypiques, d'autant plus vive en fait que la jeune femme n'est pas tout à fait la naïve demoiselle que l'on peut imaginer au début. Inutile de vous dévoiler les quelques rebondissements du scénario: soyez certains toutefois que vous ne trouverez pas ici un film d'action. Même si, donc, le climat est marqué par une certaine tension, l'oeuvre cinématographique est d'essence plutôt contemplative. Philosophique, même, quand elle cherche à saisir ce qu'est le beau.

Autant le dire franco: je trouve que Jean Rochefort fait une fois encore la preuve de son immense talent dramatique. Qu'il soit muet ou au contraire volubile, le comédien est tout à fait formidable d'expressivité. Ce grand monsieur est aussi un formidable partenaire de jeu et, par sa retenue, il fait également briller une jeune femme inconnue qui, de fait, le complète avec beaucoup de justesse. Quelque chose est passé entre ces deux-là: aux vues des images, c'est une évidence, et le seul duo suffit à offrir au long-métrage quelques très belles scènes. La "faiblesse" de L'artiste et son modèle réside peut-être dans ses rôles secondaires. Bien écrits et attribués d'ailleurs à de très honorables acteurs, parmi lesquels j'ai été heureux de revoir Claudia Cardinale, ils n'ont toutefois pas autant d'épaisseur. C'est dommage: ils ne font que passer et se font vite oublier. Reste que, malgré un sujet délicat, le film est très pudique. Une réussite.

L'artiste et son modèle
Film franco-espagnol de Fernando Trueba (2012)
Écrit par son réalisateur et le Français Jean-Claude Carrière, ce film réussit le plus dur: ne pas apparaître comme le testament artistique de Jean Rochefort ou un bête hommage à son comédien vedette. J'apprécie à sa juste valeur qu'il soit le fruit de talents venus de pays européens divers. Sur un thème comparable, en moins abouti peut-être, vous pourriez aimer revoir La jeune fille à la perle

jeudi 25 avril 2013

À l'écoute d'Éric Boisteau

C'est avec plaisir que je reviens aujourd'hui sur Queen of Montreuil. Le film de Sólveig Anspach me permet d'améliorer ma compréhension technique du cinéma. Éric Boisteau, chef opérateur du son, travaille régulièrement avec la réalisatrice islandaise. Il m'a fait la joie d'accepter à son tour le principe d'une interview téléphonique. À vous désormais de faire connaissance avec lui: c'est l'occasion également de mieux comprendre son métier par ses réponses à mes questions. Éric, si vous lisez ces mots, merci encore de vous être prêté au jeu ! Merci aussi pour les photos. Je vous laisse à présent la parole...

Quand je vous ai contacté la première fois, vous m'avez dit d'emblée être déjà en montage d'un nouveau film. C'est toujours aussi frénétique, la vie d'un technicien de cinéma ?
Ceux qui font du cinéma à temps complet, à raison de deux ou trois films par an, connaissent sûrement des temps de pause entre de trépidantes périodes de tournage. Moi, je fais autre chose: du documentaire, du magazine et parfois même du direct. Parfois, c'est vrai que c'est un peu speed de passer d'un truc à l'autre. Tout dépend des moments.

Apparemment, c'est donc pour vous un moment plutôt actif...
Oui, parce que ça fait quelques années maintenant que j'ai décidé de ne pas faire que du long-métrage. Parce que ça ne se passait pas comme ça, d'ailleurs. Il a fallu que je trouve d'autres moyens de travailler plutôt que d'attendre qu'un film me tombe dessus. Ce n'est pas toujours évident, ça m'oblige parfois à faire des choses pas très rigolotes, mais en même temps, c'est un peu ça, la vie d'intermittent.

Pour vous présenter un peu, j'ai vu que vous aviez touché au son dès votre service militaire et que vous aviez fait l’École supérieure de réalisation audiovisuelle. Comment parleriez-vous de votre parcours ?
Je ne sais pas d'où elle vient, mais le son est une vieille passion. Je devais avoir 11 ou 12 ans quand j'ai acheté mon premier magnéto. Partant de là, j'ai démonté des machines et j'ai su que je voulais faire quelque chose dans ce genre-là, sans savoir quoi exactement. Du cinéma, de la radio, de la musique ? Je voulais en tout cas enregistrer du son.

Et vous avez travaillé à plusieurs reprises avec Sólveig Anspach. Quatre fois déjà au cinéma, entre autres...
C'est ça. Je l'ai rencontrée à sa sortie de la Fémis. Elle était alors scripte sur un court-métrage. On s'était plutôt bien entendus et elle m'avait rappelé en 1991 pour Sandrine à Paris, un documentaire. Ensuite, on en avait fait pas mal ensemble. Plus tard, elle a fait Haut les coeurs ! avec ses camarades d'école. L'ingénieur du son avec qui elle bossait alors, Olivier Mauvezin, ne devait pas être dispo pour Stormy weather. J'ai donc fait ses autres films avec elle.

On a l'impression que ça s'enchaîne naturellement...
Euh... ça prend vingt ans, quand même ! Ce n'est pas forcément tous les jours, tous les mois ou même tous les six mois. J'ai eu des grosses périodes "ailleurs". Sólveig a continué à travailler avec Olivier sur d'autres trucs. C'est comme ça. C'est vrai que, pour moi, la dernière fois, c'était juste en octobre/novembre pour Lulu femme nue. J'espère que ça va continuer.

Votre CV classe vos travaux en fictions, documentaires et autres. Faut-il en conclure qu'il existe une différence dans la prise de son dans ces différentes facettes de votre métier ?
Oui. En fiction, le matériel est plus lourd. Et on travaille toujours avec un assistant.

Quand le preneur de son est-il associé au travail préparatoire d'un film ? On vous montre le scénario ?
Oui, entre quinze jours et trois mois avant le début du film. Je donne alors mon avis et il est en général enthousiaste: c'est mieux ! Depuis quelques années, je travaille sur des films où il n'y a pas forcément beaucoup d'argent. Parfois, j'ai l'occasion d'aller faire un tour sur les décors. Cela m'est arrivé il y a dix ans de partir en repérages avec toute l'équipe technique, le chef opérateur, le premier assistant et les autres. À l'heure actuelle, il faut plutôt faire avec ce qu'on trouve. Sur d'autres films, je sais que c'est différent. Sur Amour, par exemple, l'ingénieur du son était là à la construction du décor. Si le réalisateur trouve que c'est important, il peut discuter de ses idées avec lui.

Ce qui veut dire que vous pouvez faire part de votre expérience pour conseiller le réalisateur...
Oui. Il y a des décors où le son n'est pas bon, où il y a des bruits parasites tout le temps. On essaye donc de le dire, mais parfois, il n'y a pas d'autre choix. On travaille désormais avec le micro HF depuis une bonne dizaine d'années: ça aide pour assurer la continuité de la voix, c'est sûr. Cela ne veut pas dire qu'on entend plus les bruits pour autant. Amener une voix propre, c'est un peu ça, notre boulot !

Vous devez parfois ouvrir des options au metteur en scène, non ?
Si. À Sólveig, notamment, je fais part de mes sensations. Elles ne sont pas forcément justes, mais c'est un élément dont elle peut tenir compte, qu'elle peut intégrer pour faire une séquence sur un autre ton. Bon, après, ce n'est pas tous les jours comme ça. Pour moi, c'est plutôt une collaboration instinctive, sur le vif. L'idée, c'est quand même aussi d'aller vite et de ne pas retarder le tournage.

En radio, on dit parfois qu'on donne une certaine couleur au son. C'est la même chose pour vous, dans votre métier ?
Je ne sais pas. Disons qu'on peut parfois prendre l'habitude de travailler avec certains micros qu'on aime bien utiliser. Est-ce que, pour autant, les films français ont une couleur particulière ? Oui, peut-être un peu, quand même. On fait assez attention au son direct, c'est vrai. Peut-être également qu'on arrive à créer le son qu'on aime, mais dans la moitié des cas, le tout est de faire vite et bien. Peut-être avec une petite touche personnelle, mais pas forcément un truc reconnaissable entre tous. C'est plutôt réservé aux gens qui aiment le son. Sans diminuer la qualité de notre travail, ce n'est pas forcément ça, le détail qui fera qu'un film est mieux ou moins bien.

La discussion cinéma est quand même particulière, je suppose...
C'est vrai. Les comédiens ne parlent pas comme dans la vie, avec le niveau qu'on peut y mettre. Depuis que je fais du cinéma, c'est plutôt en-dessous du niveau normal. Quand on tourne sur le bord de mer et que les acteurs parlent comme s'ils étaient dans un salon, ça devient compliqué... mais c'est un peu comme ça que les choses se passent. Il n'y a pas forcément d'adaptation de la conversation au milieu ambiant. On est dans la sensation d'une réalité par rapport aux sentiments, mais on ne s'adapte pas forcément à la réalité du décor. C'est là que réside la difficulté !

J'imagine aussi que, parfois, les acteurs doivent jouer avec un son qu'ils n'entendent pas et qui s'ajoute en post-production...
C'est certain. L'idée est d'avoir le minimum de bruit autour de la voix pour mieux choisir ce qu'on mettra derrière par la suite. Sauf bien sûr si on a une volonté un peu documentariste, auquel cas le comédien est alors intégré au décor.

Parlons maintenant de Queen of Montreuil. Ce film présente-t-il des spécificités comparé à d'autres que vous auriez pu faire ?
Pas spécialement. Il y a tout de même l'histoire de l'otarie ! Un aspect un peu compliqué, notamment dans la scène de la salle de bains. Les comédiens étaient équipés en HF, mais je tenais aussi à mettre un micro dans la pièce. On ne pouvait pas le déplacer, sinon, l'otarie le suivait ou s'effrayait d'un mouvement un peu brusque ! On ne savait jamais trop comment l'animal allait réagir ! C'était le même tout au long du tournage. J'ai finalement fait assez peu de sons avec lui. Le résultat n'était pas extraordinaire et ça nous a donc demandé beaucoup de travail en post-production. C'est Jean Mallet qui s'en est occupé.

Autre point: dans le film, on entend parfois les personnages parler islandais. Est-ce que vous connaissez cette langue ?
Non. Au début, c'est un peu spécial, mais on finit par sentir le ton après deux ou trois répétitions. Parfois, on redemande les derniers mots, pour pouvoir ensuite mixer ou pour que le perchman puisse se déplacer d'un personnage à un autre. Sur des dialogues assez courts, ce n'est pas forcément obligatoire de comprendre exactement ce qui se dit. Pas sûr que j'y parviendrais avec un film entièrement tourné en chinois ou en arabe, mais au bout d'un certain temps, on finit quand même par comprendre l'intention ou saisir un déplacement.

Il arrive que des chefs opérateurs jugent certaines images impossibles à créer. Peut-on alors dire que le champ des possibles est plus vaste du point de vue du son ?
Il y a quand même des situations particulières. Une limite à la prise de son en direct. Sur Lulu femme nue par exemple, nous avons connu quelques séquences un peu difficiles. Nous étions aux Sables d'Olonne. J'y étais déjà parti en vacances, mais je ne m'étais pas rendu compte que la mer y faisait autant de bruit que l'autoroute A86. Je suis un peu ennuyé dans ces cas-là. Autre cas: dans une fête foraine, ça peut être difficile de contrôler le bruit, la musique, les mouvements. Après, ceux qui font du montage son ont souvent plein d'idées. Je ne sais pas s'il existe vraiment une limite.

Pour la fabrication d'un son, peut-être ?
En matière de nettoyage sonore, on peut aller très loin aujourd'hui grâce à l'informatique. On va jusqu'à récupèrer des bouts de mots qu'on replace ailleurs. Depuis environ une quinzaine d'années, la post-production sur ordinateur a quand même contribué à une amélioration du son. J'aime bien ces trucs-là. Ce qui peut être compliqué, c'est d'avoir placé des micros sur les comédiens un peu partout et d'avoir à gérer le bruit d'un vêtement trop neuf, cartonné ou de qualité trop moyenne... mais ça se travaille également.

Au cinéma, il faut également gérer le paramètre "musique". C'est un travail mené en collaboration ?
Non. C'est vrai que, sur la plupart des films, le musicien est contacté avant. Après certaines scènes musicales, on enchaîne direct avec du texte et il faut alors bidouiller. Pour que la musique ne nous gêne pas quand on travaille, on peut par exemple la balancer directement dans les oreilles des comédiens grâce à de petits récepteurs. La collaboration ne s'opère donc pas sur le plateau, sauf dans un cas particulier comme un enregistrement de musique en direct.

La musique est-elle alors un son comme un autre ?
Oui. Il faut juste prévoir un système d'enregistrement différent ou complémentaire. D'autres micros, une autre console... et c'est bien alors d'avoir une autre personne pour s'en occuper. Sinon, oui, ça reste de la prise de son live: il ne faut pas voir les micros, éviter la trop grande proximité. Au final, il faut que le son soit intéressant, que tout soit bien intégré au décor, qu'on ait fait un peu d'acoustique... des choses comme ça. Personnellement, je n'ai pas eu de relations directes avec les musiciens.

Devant un film, vous arrivez à éviter de ne penser qu'au son ?
Parfois oui, parfois non. Dans une séquence où on n'aimera pas trop le son, soit parce qu'on n'a pas su quoi faire, soit parce que le son direct n'est pas très bon... oui, effectivement, on pense au son. Après, quand le son est joli, on l'oublie, en fait.

Un film peut-il vous séduire par le son ?

Oui. Effectivement, je peux être séduit par une belle prise de son de voix. Si les voix sont belles, j'écoute le film. J'y prends du plaisir. C'est ce que j'aime dans mon métier, d'ailleurs: quand je fais une prise de son et que la voix me chatouille l'oreille, j'adore ! 

Y a-t-il donc des voix de comédiens qui vous plaisent particulièrement ?
Il y a les belles voix graves, les voix bien timbrées, les voix qui n'ont pas besoin de porter pour être entendues: pour l'ingénieur du son, c'est un peu ça, le top du comédien. On en retrouve peut-être davantage chez les acteurs d'un certain âge. Certains ont naturellement une belle voix, d'autres une voix plus difficile ou plus faible, une articulation plus ou moins bonne... et ça change aussi avec le temps. Depuis quelques années, on est dans le chuchotement et dans un jeu différent. Après, on a les Marielle, les Trintignant qui ont une voix sublime. Une prise de son avec des gens comme ça, c'est comme du velours dans les oreilles ! C'est vrai que Claude Gensac, par exemple, dans le dernier film de Sólveig, elle a une voix incroyable ! C'est vrai aussi que c'est une actrice d'une autre époque, mais elle a une voix de vieille dame, fumeuse, avec un coffre important... c'est impressionnant. Une autre façon de jouer, en fait !

Vous devez avoir un rapport particulier aux versions originales...
Ah ça oui ! J'essaye de ne pas regarder les versions françaises.

Même pour les langues que vous ne connaissez pas ?
Oui. Je n'arrive pas à regarder un film doublé: ça me gêne ! Cela peut m'arriver sur des séries ou des choses comme ça. Ce n'est pas tellement le problème que ce soit bien fait. C'est juste que j'aime bien entendre le son d'origine.

Est-ce qu'on retravaille le son autre que la voix, quand celle-ci est doublée ?
Pas tellement, je crois. Je n'ai pas l'impression qu'on retravaille beaucoup ce qui arrive avec le film. Cela dit, je n'en mettrais pas ma main à couper. Je n'assiste pas à ce type de mixages. En tout cas, la plupart des films sont bruités. Il en existe une version internationale, avec une ambiance sonore donnée et sur laquelle on peut venir poser des voix françaises.

Je vous ai demandé quand commençait votre travail sur un film. Pouvez-vous me dire quand il s'achève ?
Après le dernier jour, quand le tournage est terminé, il arrive qu'il reste encore quelques sons à faire. On vérifie que tout se passe bien au montage. On passe un ou deux coups de fil. On voit s'il manque des ambiances. Pour ma part, tous les trois ou quatre films, j'essaye de faire le montage de mes sons directs. C'est aussi une manière de finir le boulot. Il y a des ingénieurs du son que ça n'intéresse pas du tout d'aller tripatouiller leurs sons une fois qu'ils sont enregistrés. Moi, j'aime ça ! Après, je vais un peu au mixage et voilà, c'est fini. Sur certains tournages, ça se passe autrement: les gens récupèrent les sons que vous avez faits, ils vous appellent juste s'il y a un truc qu'ils ne comprennent pas et c'est tout...

La légende du cinéma dit que la dernière réplique de Casablanca a été ajoutée quelques jours après la fin du tournage. Avez-vous déjà été confronté à ce genre de situation ?
Oui, ça peut arriver, bien sûr ! Si on se rend compte au moment du montage que quelque chose ne va pas, on va refaire quelques voix. Sur un film, il y a souvent un moment où, quand le son et l'image sont un peu mis en place, on fait de la détection. On vérifie alors ce qui va ou ce qui ne va pas dans le son direct. S'il y a des choses à reprendre, il reste toujours une, deux ou trois petites journées pour la post-synchronisation. C'est intégré à la fabrication du film. Bon, quand il n'y a pas beaucoup d'argent, j'essaye de ne pas en faire...

Pour finir, y a-t-il des sons que vous n'aimez pas ? Ou bien est-ce qu'on parvient à tous les aimer, quand on est ingénieur du son ?
Les sons de papier, de sacs plastique... c'est un peu l'enfer. Ça prend un peu beaucoup de place et les micros n'aiment pas trop ça. Les bagnoles, ce n'est pas forcément toujours terrible. Les gamins qui crient. La mer, c'est un peu compliqué: c'est beau tout seul, mais pas forcément facile si c'est mélangé à la voix. Après, bon, j'aime le son !

Et peut-être même des sons que les autres n'aiment pas...
Possible. Je ne me suis pas vraiment posé la question. Il y a aussi des choses un peu étranges. Des sons qu'on n'entend pas tous de la même manière, qu'on apprécie sans trop savoir pourquoi. C'est personnel aussi. Moi, par exemple, j'aime bien les petits accidents de bouche.

Quels sont vos projets pour l'avenir ?
Dans l'immédiat, je n'ai pas de long-métrage prévu. Je vais peut-être continuer avec un documentaire que j'ai commencé il n'y a pas longtemps. C'est sur une femme écrivain, un peu artiste, qui s'appelle Annie Le Brun. Quelqu'un de vraiment bien. À part ça, pas de choses programmées...

En tant que technicien de cinéma, un peu dans l'ombre des acteurs et réalisateurs, ce serait quoi, la reconnaissance, pour vous ?
D'abord, c'est quelqu'un qui vous rappelle pour travailler avec vous ! C'est ce qui est super agréable. Le public ? À vrai dire, pour le son...

Et venant de vos pairs ? Il existe bien des récompenses réservées aux preneurs de son...
Oui, tout à fait. C'est vrai que ça doit être excitant, un peu une sorte de montée d'adrénaline ! Ce n'est pas ce qui peut changer le cours d'une existence, mais ça offre toujours cinq minutes de gloire... on passe à la télé ! Après, avoir régulièrement du travail et que les gens aiment être avec vous... voilà, c'est ça, le truc qui remplit une vie.

mardi 23 avril 2013

La veuve joyeuse

J'aime aussi le cinéma français parce qu'il regorge de petits films sortis de nulle part. Reconnaissons toutefois à Queen of Montreuil quelques tons islandais, du fait du pays d'origine de la réalisatrice, Sólveig Anspach, et de deux des personnages principaux. Le fait alors que l'action de cette historiette se déroule en banlieue parisienne ajoute au décalage offert  par cet objet filmique vaguement identifié. Le long-métrage est tout à la fois drôle, tendre, émouvant, burlesque et frappé. Un exemple que le septième art n'a pas toujours besoin d'être formaté pour qu'on y trouve du plaisir. C'est même le contraire.

Résumons. Au début de Queen of Montreuil, Agathe rentre chez elle. Elle a entre les mains l'urne funéraire qui contient les cendres de feu son mari, journaliste mort sur le terrain d'un accident de mobylette. Dans le petit bureau voisin de celui où on lui explique que faire désormais, elle rencontre Anna et Ulfur, une mère et son fils, débarqués d'Islande au retour de la Jamaïque et dépourvus de papiers d'identité. Le trio se réunit à cet instant parce qu'Agathe accepte d'aider les deux Nordiques et de les héberger, le temps qu'ils règlent quelques formalités. Bientôt, on va découvrir toute une communauté de Français multicolores, fauchés et souriants. Le côté "carte postale" de l'entreprise est clairement assumé: entre fantaisie d'un quotidien métamorphosé et onirisme, le film navigue dans la positive attitude.

Naïveté ? Idéalisme ? Volonté d'une vision du monde un peu apaisée ? Queen of Montreuil, c'est sans doute un peu tout ça. De quoi faire fuir ceux qui ne supportent le cinéma social que froidement réaliste. Pourtant, quand je suis allé voir le film, encouragé tant par ma mère que par un bouche-à-oreille favorable, la salle était pleine et j'ai gardé le sourire tout le long de la projection. Beaucoup de gens riaient, aussi, la preuve que le cinéma fait du bien quand il est un peu rêveur. Cette fable est filmée, montée et même mise en musique avec beaucoup de modestie: c'est tout à l'honneur de Sólveig Anspach d'avoir abordé son sujet sans grand discours et sans leçon de morale. J'ai découvert une cinéaste, mais aussi une troupe de comédiens. Parmi eux: Florence Loiret-Caille, assez épatante, et... une otarie.

Queen of Montreuil
Film français de Sólveig Anspach (2013)
Le fabuleux destin d'Amélie Poulain: c'est sûrement parce que je l'ai revu il y a peu que j'ai repensé à ce film en voyant celui d'aujourd'hui. Il se trouvera probablement des pisse-froids pour crier à l'idéalisation d'une situation objectivement moins reluisante. Tant pis ! Je reste amateur de ce genre de cinéma, parfait pour me détendre totalement quand je me sens un peu stressé. Rire et émotion(s) en prime.

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Bon, évidemment, ça ne plait pas à tout le monde...
Pascale, de "Sur la route du cinéma", est très dure avec le film. C'est donc avec logique qu'elle en parle avec d'autres mots que les miens.

samedi 20 avril 2013

Sous l'oeil de Pierre Novion

Vous pouvez aller vérifier: il y a pile une semaine, je vous ai parlé d'un film d'Anna Novion. Cette jeune cinéaste travaille régulièrement avec son père, Pierre, qu'elle charge alors du poste de directeur photo. Or, rebond favorable, Pierre Novion est aussi crédité à ce titre au générique de Möbius. C'est pour parler de ce film - et évidemment de son métier - que je l'ai contacté. Il a très généreusement accepté de répondre à mes nombreuses questions au cours d'une conversation téléphonique - je veux ici l'en remercier. Voici donc son interview...

 Avant toute chose, je voulais vous demander comment vous étiez tombé dans le chaudron du cinéma ?
J'ai fait l'école Louis Lumière en cours du soir. Il me semble que ça n'existe plus ! La formation avait lieu en semaine de 18 à 20 heures et le samedi toute la journée. On devait être une dizaine. C'était d'abord destiné à des gens qui travaillaient déjà dans le cinéma et voulaient être mieux formés, pour gravir un échelon par exemple. Ce n'était pas mon cas: j'ai pu rentrer après avoir fait pas mal d'études de mathématiques. Il semble que ça les a quand même un peu interpellés ! J'ai fini par passer un BTS au bout de neuf mois.

Vous aviez donc bien envie de faire du cinéma...
Oui. J'étais très partagé entre la réalisation et l'image. Côté études, j'avais d'abord commencé un doctorat sur des bases de données, mais j'ai senti que je m'égarais un peu. J'ai fait aussi un peu d'architecture. Quand j'ai fait mes cours du soir cinéma, en 1979, j'avais déjà réalisé ou plutôt tenu la caméra de films Super 8.

Et derrière, vous avez travaillé assez rapidement...

Oui, j'ai travaillé en même temps que mes études pour gagner ma vie. C'est pour ça que c'était intéressant pour moi de prendre des cours du soir. Je n'avais pas tellement envie de me retrouver avec des "mômes" de 22 ans alors que j'en avais 28. Je me disais que j'avais du temps à rattraper. Après mon BTS, mon presque premier travail aura été celui de premier assistant sur un long-métrage. J'ai quand même fait cinq ans d'assistanat, ce qui est finalement presque plus court que le parcours habituel. En même temps, j'ai fait pas mal de courts-métrages comme directeur photo et donné par ailleurs des cours à l'Institut des Hautes études cinématographiques (Idhec). Plus tard, de 2001 à 2004, j'ai d'ailleurs également été directeur de département à la Fondation européenne de l'image et du son (Fémis). Voilà pour mon rapport avec les écoles...

Vous connaissez Éric Rochant depuis 1989. Votre premier film avec lui, c'est Un monde sans pitié...
Exact. Sans dire que je le connaissais, j'encadrais un peu ses premiers tournages à l'Idhec, ce qui permettait d'ailleurs d'apprendre des tas de choses. Je crois qu’Éric était aussi en cours, mais que, bien que persuadé que c'était intéressant, lui les séchait ! On en a plutôt reparlé après...

Je suppose qu'on peut dire que c'est désormais un ami à vous...

Oui. Nous entretenons effectivement des rapports d'amitié en-dehors du travail.

Peut-on dire que, lorsque vous abordez un film ensemble, il y a une méthode Rochant / Novion ?
La première chose qui nous unit, c'est la confiance. Éric va rapidement à l'essentiel. Il ne montre pas ses angoisses. Sur un tournage, il me fait part de ce qui est important pour lui. Pour évoquer Un monde sans pitié, par exemple, la seule chose qu'il m'ait dite, c'est qu'il voulait que ce ne soit ni beau, ni laid. C'était restrictif, mais en même temps, ça voulait dire quelque chose. J'ai en tout cas essayé d'en tirer quelques leçons. C'était l'époque de l'argentique et c'est un film sans aucun blanchiment. Lors des essais, on s'est approché d'une esthétique. Nous avions besoin de durcir quelque peu le physique d’Hippolyte Girardot, qui, lui, avait beaucoup travaillé sur sa démarche.

Avant d'en venir très vite à Möbius, je voulais vous demander comment un directeur photo aborde un film. Y a-t-il des étapes incontournables, finalement ?
C'est très variable selon le metteur en scène. On commence évidemment par le scénario, qu'on lit pour soi et à travers le cerveau du réalisateur. On s'oriente dans une direction donnée. Les choses prennent vraiment forme pendant les repérages. Ils nous permettent de voir le réalisateur, mais aussi de travailler avec l'assistant réalisateur et le chef décorateur. Les décors sont quand même un élément décisif du film. Il y a aussi les acteurs, leur sexe, leur âge. Un film sur des adolescents ne suppose pas la même recherche qu'un travail comme celui avec Cécile de France sur Möbius, par exemple.

Quand le directeur photo arrive-t-il dans la boucle ?
Je dis oui au film bien avant les repérages, évidemment, en fonction du scénario et du réalisateur. C'est important de sentir qu'un film correspond à ce qu'on aime et recherche. La relation avec le réalisateur est très importante aussi, parce qu'on va travailler ensemble presque 24 heures sur 24 ensuite.

C'est justement lui, le réalisateur, qui choisit le directeur photo ?

Dans mon cas, oui, plutôt. En France, ça se passe souvent comme ça. En revanche, le réalisateur peut aussi en parler avec la production pour éventuellement changer ou être conseillé.

Dans le cas de Möbius, y avait-il déjà de la part d’Éric Rochant une petite demande pour orienter votre travail ?
Il faut d'abord savoir que nous avions fait deux saisons de Mafiosa ensemble. Au cours de la deuxième, Éric avait mis au point un certain style de mise en scène. Il souhaitait continuer dans cette direction. Pour la photo, les grandes lignes étaient très simples: vu qu'on s'intégrait dans un milieu chic où l'argent prend une très grande part, il souhaitait une image chaude, brillante, riche, à la limite clinquante. L'idée était d'accentuer un sentiment de confort et de luxe.

Et vous ? Souhaitiez-vous apporter quelque chose de spécifique ? Quelque chose qui ne soit pas une demande d'Éric Rochant ?
Non. Cela dit, pendant la préparation, Éric n'était pas dans les locaux de la production avec l'assistant et le chef décorateur. Lui travaillait ailleurs et moi, chez moi. C'est pour ça que les repérages sont importants: on passe la journée dans une voiture, on découvre les décors, on discute. Dans les choix de décors, même si Éric décide en fin de compte, la manière dont j'en parle détermine un peu l'esthétique du film. C'est à ce niveau, dans un premier temps, que j'interviens. Dans un second temps, sachant qu'un metteur en scène a beaucoup de choses à faire sur un plateau, la confiance qu'il a placée en son directeur photo permet de lui laisser les choses entre les mains. Éric me parle rarement de la lumière sur un plateau. C'est plutôt devant les rushs qu'il me donne une bonne note ou non.

Je voulais parler avec vous de Monaco. On le reconnaît facilement quand on l'a déjà vu, mais finalement, c'est un décor qui reste assez discret...
Les raisons sont très prosaïques. Éric souhaitait tourner cette partie monégasque à Monaco. Il a lui-même fait les repérages en scooter. Pour une scène, nous avions trouvé un autre lieu à Cannes, mais il a insisté, peut-être tout seul. Nous avons d'abord eu des soucis d'autorisation. Ensuite, quand ces mêmes soucis commençaient à se lever, on tombait sur le fameux circuit monégasque. Certaines choses nous ont été refusées, sans doute du fait du scénario. On reste énormément en intérieurs, dans ce film, même si on sait qu'il faut toujours agrémenter ça de scènes extérieures. Nous avons tourné assez rapidement: neuf semaines et demie, ce n'est pas énorme. Ainsi, pour l'anecdote, on en avait vingt pour Les patriotes.

Ce qui est plutôt original, c'est que vous ne donnez pas une image trop glamour de la Principauté...
Ce qui intéressait Éric, c'était de s'appuyer sur cette montagne de béton. Le côté glamour, on l'a aussi un peu avec les yachts, mais il se trouve que l'accent n'a pas été mis là-dessus.

Dans cette image, quelle est la part du travail du seul réalisateur et celle du directeur photo ? Comment cela s'articule-t-il ?
Le film a été tourné sur la Côte d'Azur, entre Cannes et Monaco, mais aussi en Belgique et au Luxembourg, avec une coproduction belge et luxembourgeoise. C'était d'ailleurs l'une des difficultés pour les repérages. Il y a des décors dans tous les sens ! La boîte de nuit où se rencontrent Jean Dujardin et Cécile de France, c'est en Belgique. Pareil pour le café où ils se retrouvent par la suite. La salle de banque de Tim Roth à Moscou, c'est un studio au Luxembourg.

Du point de vue des acteurs, maintenant, j'ai trouvé le film sensuel et pudique à la fois...
L'histoire d'amour était un grand enjeu pour Éric. Dans les scènes d'amour, sauf exception, on répète souvent ce qui a déjà été fait. Sans le trahir, je pense qu’Éric a voulu s'intéresser à l'orgasme de la femme et cette découverte qu'en fait l'homme. Ce n'est pas un aspect très développé, c'est intériorisé. Partant de là, nous nous sommes plutôt intéressés aux regards et aux visages.

Dans un autre genre, l'unique scène de bagarre du film a-t-elle été compliquée à tourner ?
Vous parlez de celle de l'ascenseur ? Un peu, oui. Elle est décomposée en deux du point de vue tournage. L'immeuble est situé à Beausoleil, à côté de Monaco. Je ne participais pas encore aux repérages à ce moment-là, mais le choix de cet immeuble tient notamment à cet ascenseur, qui plaisait beaucoup à Éric. Les choses se sont un peu compliquées parce qu'on n'a pas eu le droit de faire trop de choses. Nous sommes quand même parvenus à y tourner un petit tiers de la scène. Pour le gros de la bagarre, notre chef décorateur a reconstitué les lieux en studio, au Luxembourg. On a filmé en posant des fonds verts autour de la cabine. J'avais également préalablement installé une caméra autour de l'ascenseur pour le faire défiler.

Et au final, on n'y voit que du feu !
Pour tout dire, la bagarre, c'est le dernier jour du tournage en studio. Les premières images, je les ai faites au début, entre 3 et 4 heures du matin, au premier jour du tournage. Je me suis appuyé sur le fait que le vrai ascenseur avait une lampe au plafond et j'ai ensuite retravaillé autour de cette idée, en studio. Tant mieux si on ne voit rien, mais il y a beaucoup de plans. Ce qui est pour moi intéressant, c'est qu'on arrive à ça avec de courtes focales.

Je me rappelle la scène où un hélicoptère atterrit sur un yacht...
La grande difficulté du yacht, c'est la mer déchaînée. Tout le monde était allongé, malade. Jean Dujardin devait en plus parler russe ! Comme chaque tournage en bateau, en cas de tangage, on passe beaucoup d'énergie à retenir la caméra et les projecteurs. Pour moi, cela dit, ça restera comme l'un des jours les plus agréables. Quand on est toujours en intérieur, c'est un peu comme des vacances ! La difficulté, c'est de repérer la course du soleil pour donner le cap au pilote. On doit toujours changer d'angle. On sait qu'en bateau, on dérive facilement. Inversement, ça peut être pratique en champ/contrechamp. C'est tout de même connu comme une condition de tournage compliquée, mais il y a plus difficile encore, quand la caméra est aspergée par l'eau de mer...

Y a-t-il d'autres scènes particulières, à vos yeux ?
Nous avons tourné dans un salon d'exposition au Luxembourg, fermé pour l'été. Nous avions 5.000 mètres carrés et dix décors plantés là. Pour s'approprier ces décors que je n'avais jamais vus, il m'a fallu faire vite: on les voit le samedi et, dès le lundi, il faut travailler avec. Pour les plans aériens, la qualité du pilote est très importante. C'est un peu lui qui détermine le cadre. En termes de spécificité, je dirais que le film est tourné en pellicule, en Techniscope, alors que 80-85% des films actuels le sont en numérique. On voit bien la différence dans l'image des peaux, je pense.

Un mot sur la lumière ? Celle de Monaco diffère-t-elle des autres ? Comment s'y adapte-t-on ?
Je n'étais pas trop impliqué dans l'aspect conceptuel. L'idée était de montrer Monaco ensoleillé. Ce n'est pas comme dans le nord de l'Europe, où la lumière reste vraiment particulière. Je ne voudrais pas me montrer prétentieux, mais nous n'avons toutefois pas eu que du beau temps. En plus de cette lumière riche, chaude et colorée, un peu flamboyante liée à Monaco, j'en introduis une plus minimaliste quand Jean Dujardin se retrouve à Moscou, quand il se rend à la planque CIA dans cet immeuble décrépi ou quand il retrouve l'univers de la Loubianka dans des décors plus monochromes. La lumière souligne alors la solitude et l'âme esseulée du personnage.

Peut-on revenir sur celle du Nord de l'Europe et notamment celle de la Scandinavie, que vous travaillez dans les films de votre fille Anna et par exemple Les grandes personnes ?
C'est une lumière que j'affectionne beaucoup. L'air est presque transparent. J'ai fait un autre film avec Anna, Rendez-vous à Kiruna. Ce qui est agréable, l'été, c'est la durée avec cette lumière. Entre huit et onze heures du soir, on peut presque tourner entre chien et loup. L'occasion de capter de longues séquences dans cette lumière un peu magique. Là, puisque nous allions de plus en plus vers le Nord, l'enjeu était de montrer justement une lumière de plus en plus importante. Les scènes "de nuit" le sont de moins en moins, finalement.

Pour finir, un mot sur vos projets ?
Actuellement, c'est calme. On verra après l'été, mais je n'aime pas trop en parler. Dans l'immédiat, rien...

Vous enseignez toujours ?
Non. Cela dit, j'ai trouvé très intéressantes les trois années que j'ai passées à la Fémis, en compagnie d'étudiants pour qui tout commence. Plus on donne, plus on reçoit en échange. C'est le principe d'avoir des professionnels aux postes de direction. La seule chose, c'est qu'au point de vue du temps passé, c'est un peu difficile de faire les deux, travailler et enseigner. Je n'ai plus de rapport avec eux.

Votre fille est donc cinéaste. Vous ne décourageriez pas les jeunes de faire du cinéma...
Anna, je l'ai plutôt poussée à faire autre chose, mais ça n'a pas marché. Elle y est venue de manière un peu marginale, en me disant qu'elle voulait bosser dans le décor. Une façon de faire ce qu'elle voulait, petit à petit. Elle n'a pas fait beaucoup d'assistanat et prépare déjà son troisième long-métrage, une comédie qui, cette fois, ne se passera pas en Suède. Quand elle a commencé, je n'envisageais pas de travailler avec elle. Elle m'a présenté son dernier court-métrage: le sujet m'a plu et j'ai décidé qu'on ferait ça ensemble. On aurait très bien pu ne pas s'entendre ! Finalement, ça a très bien marché et, par la suite, on a donc fait deux autres films...

Elle vous étonne ? Elle vous rend fier ?

Je ne m'y attendais pas. Je n'étais pas programmé dans ce sens-là. Elle m'impressionne, oui. J'ai vu rapidement qu'elle avait un certain nombre de qualités importantes pour un réalisateur.

Avec tout ça, vous arrivez toujours à prendre du plaisir au cinéma comme simple spectateur ?
Oui, complètement ! Je suis à 90% spectateur. On ne l'est plus quand on tombe dans l'ennui total et qu'on se retrouve à regarder comment la cuisine est faite. Sinon, on décortique un peu, mais ça n'est pas gênant du tout. Le rôle d'un film, ça reste de vous embarquer. Ce n'est pas parce qu'on est du métier que l'on est moins "embarquable".

Qu'est-ce qui vous a embarqué dernièrement ?
J'ai revu La porte du paradis, à Bordeaux. Et j'ai vu No, que j'ai bien aimé.

Avec une image particulière, là aussi...

Oui, là, c'est clair et elle est voulue comme telle. Rien à dire. Cela a permis d'y mélanger quelques images d'archives. Pour le seul plaisir de l'oeil, c'est parfois un peu limite, mais on s'y fait.

Vous voudriez ajouter quelque chose ?
Non. On a fait le tour, il me semble.

jeudi 18 avril 2013

Une histoire d'amour

Quand, aussitôt après que je l'ai découvert, on m'a demandé de parler de Möbius, j'ai dit que c'était un film ambitieux. Je porte toujours l'espoir de convaincre qu'il est agréable de voir le cinéma français s'aventurer dans ce registre généralement accolé aux seuls films américains. Fruit semble-t-il d'une longue maturation, l'oeuvre 2013 d’Éric Rochant est une histoire d'amour sur fond d'espionnage. Franchement, je crois qu'il aurait été très facile de se casser la gueule en beauté avec un tel projet. Et je dis donc que ce n'est pas le cas.

Cécile de France et Jean Dujardin ont pris eux aussi le risque d'altérer leur image plutôt sage pour venir défricher un nouveau territoire expressif. Elle, habituelle jolie fille, joue d'abord sur la froide rudesse de son personnage, Alice, tradeuse sans état d'âme et d'une efficacité redoutable. Lui, espion russe en maraude à Monaco, exprime parfaitement l'ambivalence de ce Grégory Lioubov, d'une précision clinique dans son exercice professionnel, mais finalement vulnérable parce que trop seul. Je crois que le ton général de l'intrigue est donné dès la première rencontre: "Je crois que je suis en train de merder sérieusement". En effet. Et si ça vous paraît parfois trop compliqué de comprendre pourquoi, je vous recommande de vous concentrer d'abord sur l'histoire d'amour des deux protagonistes. Möbius parle avant tout d'un couple, bien plus que d'une quelconque activité criminelle. Sans en dire trop, j'ajoute que c'est un vrai film noir...

Formellement, c'est une grande réussite. L'image est d'une beauté aussi éclatante que celle d'une Cécile de France devenue femme fatale. J'ai trouvé véritablement très intelligent de tourner une partie du film à Monaco tout en évitant les plans habituels autour du Casino ou sur le Grand Prix. Fluide, le montage ne complique pas davantage un scénario qui l'est déjà, ce qui, en l'occurrence, est une qualité. L'ambiance sonore, enfin, est discrète mais assez insidieuse: elle a su me maintenir accroché aux images. Au niveau du jeu, le duo vedette brille donc par son audace - je vous passe les détails pour maintenir une certaine surprise. Jean Dujardin prend une dimension supplémentaire, ce qui en fait l'un des comédiens les plus intéressants de sa génération. Sa partenaire développe son registre et, oui, reste tout à fait convaincante. Émilie Dequenne et Tim Roth nous offrent des seconds rôles de premier choix. Möbius n'est pas un film incontournable. Ce n'est pas un excellent film. C'est un film complexe à plus d'un titre et qui, pour ça, vaut donc largement qu'on s'y arrête. Ambitieux: c'est bel et bien, je pense, le qualificatif le plus juste.

Möbius
Film français d’Éric Rochant (2013)

Comparaison n'est pas raison. Je note toutefois que Cécile de France et Jean Dujardin n'en sont pas vraiment à leur coup d'essai en matière policière. La comédienne belge s'était déjà lancée dans l'aventure Gardiens de l'ordre, avec moins d'à-propos. Idem avec le chouchou des Français, qui était flic dans Contre-enquête. Si vous découvrez maintenant le réalisateur avec Möbius, je vous recommande vivement le seul autre de ses films que je connais: Les patriotes.

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Et, pour finir, un petit tour ailleurs ?

C'est possible avec "Le blog de Dasola" ou "Sur la route du cinéma".

mardi 16 avril 2013

Après Boston

Aujourd'hui, et pour la toute première fois, j'interromps le fil régulier de mes chroniques cinéma. Pour dire la vérité, j'ai hésité un moment. Je n'étais pas certain qu'il soit pertinent d'évoquer ici les attentats survenus hier soir dans la ville de Boston. En la circonstance, il m'a pourtant semblé que le texte initialement prévu n'était pas publiable immédiatement: je devais parler d'un film qui dresse un portrait ironique du bellicisme américain et se moque allègrement des folies suscitées par les armes à feu. À y réfléchir, il n'y avait pas urgence...

Rabelais le disait: "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Je décale donc la parution d'un bon mois. Je juge préférable de saluer d'abord la mémoire des disparus et de penser à ces autres victimes qui sont encore en vie, quel que soit au fond le niveau et l'origine véritable de la souffrance qu'elles affrontent en cet instant. Mes mots sont là pour ces femmes, ces hommes et ces enfants. Ils le sont aussi, modestement, pour celles et ceux qui, dans une humanité prétendument développée, ont mal. Peu importe le contexte, en fait.

J'ai retenu une image de Boston, avec une autre d'athlètes anonymes en plein effort. J'ai eu envie de dire qu'il est important que la vie continue. J'espère que, dès 2014, il y aura un autre marathon organisé à l'endroit même où les bombes ont frappé hier. L'ignominie de la violence renferme pour moi un paradoxe: elle arrive à me faire douter de la nature humaine, mais, sitôt qu'elle éclate, la solidarité qui l'accompagne me réconforte. Le septième art peut bien attendre. Ce mardi, j'écarte ma cinéphilie: je veux surtout me sentir humain.

lundi 15 avril 2013

Steven et Gatsby

Je suis en retard, c'est vrai. Il fallait quand même que je vous dise ma grande joie de voir Steven Spielberg présider le prochain Festival de Cannes, dans un mois pile. Le réalisateur était paraît-il sur la liste des possibles depuis les années 90. Libre pour cette édition, il n'est finalement que peu venu présenter ses films sur la Croisette. À noter quand même qu'il en était reparti primé dès sa première participation à la compétition, avec Sugarland express, en 1974. J'en reparlerai.

Aujourd'hui, j’avais d'abord pensé établir une liste de mes souvenirs avec les films de Steven Spielberg, mais au bout du compte, je vais attendre une autre occasion. Je suis curieux désormais de connaître les artistes qui auront le plaisir de juger avec lui les films cannois. Bien entendu, je suis impatient d'avoir entre les mains la liste officielle de ces mêmes longs-métrages – elle ne devrait plus tarder désormais. Pour l'anecdote, ce sera la 66ème édition du Festival.

Le film d'ouverture a lui aussi été choisi. J'en ai déjà dit un mot dernièrement, par un joli hasard: il s'agira du remake du classique Gatsby le magnifique, du réalisateur australien Baz Luhrmann. Leonardo DiCaprio reprend le personnage de Robert Redford, 39 ans après la version première. Programmé le 15 avril, le long-métrage sera projeté en 3D, hors-compétition. Mieux, il sortira simultanément dans les salles françaises. Ami(e)s cinéphiles, rendez-vous est pris !

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Ah, au fait, faut quand même le dire aussi...

La sélection officielle sera connue jeudi. J'en reparlerai en temps voulu, c'est-à-dire plutôt à l'ouverture du Festival. Soyez patients !

samedi 13 avril 2013

Une parenthèse scandinave

Bibliothécaire à Paris, Albert part chaque été en vacances avec sa fille Jeanne, depuis que sa femme lui a préféré... la Nouvelle-Zélande. Après Rome et Berlin, son adolescente et lui choisissent de passer quelques jours sur une île de la Suède. Armé d'une motivation inébranlable et d'un détecteur de métaux, Papa est sûr de pouvoir dénicher un trésor viking. Fifille, elle, préfère nager et faire du vélo pour mieux sympathiser avec l'habitant. Pas trop le choix, du reste. Au début de Les grandes personnes, les touristes français partagent leur lieu de villégiature avec d'autres. Erreur dans la réservation...

Les grandes personnes est le premier film d'une jeune réalisatrice franco-suédoise, Anna Novion. Ce récit sans prétention m'a attiré pour plusieurs raisons. La première, c'est la perspective de pouvoir revoir la Scandinavie, où j'ai moi-même passé une petite semaine l'été dernier - à Stockholm, chouette destination, soit dit en passant. Ensuite, je connaissais le nom de Novion, pour une raison particulière que j'expliquerai peut-être très bientôt. Enfin, c'est difficile pour moi de résister à un film avec l'ami Jean-Pierre Darroussin, a fortiori quand ce dernier est accompagné par la jolie Anaïs Demoustier. Signalons également, parmi les rôles notables, les présences lumineuses de Judith Henry et Lia Boysen. Je ne me suis pas ennuyé.

Il faut dire aussi que le film n'en laisse pas le temps, vu que, génériques compris, il dure à peine une heure vingt. C'est bien assez pour ce qu'il souhaite raconter. Un certain nombre de cinéastes actuels ayant au contraire tendance à délayer leur propos, je dois dire que la sobriété d'Anna Novion est à mes yeux un argument favorable pour son cinéma. Mini-chronique de l'adolescence, d'une pudeur certaine sans toutefois renier l'intime, Les grandes personnes porte également bien son titre, l'intrigue évoquant aussi le destin croisé d'adultes un peu perdus. J'ai apprécié la retenue du long-métrage. J'ai aimé son talent pour magnifier le littoral suédois et sa lumière pâle. Une porte s'ouvre à la toute fin. C'est alors à nous d'inventer la suite.

Les grandes personnes
Film français d'Anna Novion (2008)

Un papa et sa fille en vacances: difficile de ne pas penser immédiatement à Mon père, ce héros. J'ai préféré le petit film d'aujourd'hui, sans raison objective. Le duo Darroussin / Demoustier marche, mais ça, je le savais depuis Les neiges du Kilimandjaro. Anecdote amusante: en 2007, un long-métrage américain, titré King of California, avait déjà pour personnages un père chasseur de trésor et sa fille, sans autre similitude toutefois. Prenez garde également aux homonymes: un autre Les grandes personnes est sorti en 1961.

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Si vous souhaitez rester sur le film de 2008...
Pascale ("Sur la route du cinéma") et Dasola ("Le blog de Dasola") l'évoquent également sur leurs sites respectifs. À vous de cliquer !

jeudi 11 avril 2013

Petite fée citadine

Faute de DeLorean garée à proximité, le cinéma est pour moi l'outil indispensable au voyage dans le temps. C'est franchement curieux comme les souvenirs sont trompeurs, parfois. Exemple: j'étais persuadé que Le fabuleux destin d'Amélie Poulain était sorti tardivement au cours des années 90, alors qu'il est un peu plus récent. Pour le reste, ma mémoire fonctionne correctement, merci pour elle, et je me souvenais plutôt bien du scénario du film. Soit, donc, une jeune femme, parisienne, célibataire, qui se décide à faire le bien autour d'elle et s'oublie un peu dans le soutien qu'elle apporte aux autres. Une petite fée citadine dans un décor de carte postale.

Grand succès public en France, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain émarge au deuxième rang des films français... les plus vus dans le monde. Il a franchi les 100.000 entrées dans plus de 30 pays ! Le New York Times le classe même parmi les 1.000 meilleurs films jamais réalisés. Je crois qu'on peut dire qu'il a marqué son époque, même si cette dernière est plus proche que je ne l'avais imaginé. Audrey Tautou était toujours l'une des plus pétillantes jeunes actrices de France et Mathieu Kassovitz ne crachait pas encore dans la soupe du cinéma hexagonal. On était heureux d'apprécier une distribution de grand prestige avec Rufus, Djamel Debbouze, Isabelle Nanty, Dominique Pinon, Lorella Cravotta et bien d'autres encore. Quintessence du made in France d'avant la crise, qui savait s'amuser sur les sentiments et faire du bien à un pays pour une fois unanime.

Unanime ? Non, en fait, pas tout à fait. Sous le vernis nostalgique d'un Paris qui n'existe pas vraiment, certains ont vu les pires choses: de la poésie frelatée, une esthétique publicitaire rétro et un propos insignifiant, par exemple, pour Serge Kaganski, ponte de la rédaction des Inrockuptibles, l'assimilant même à un possible clip de promotion pour... le Front National. Il doit bien m'arriver de dire ou de penser des bêtises sur le cinéma, question d'interprétation ou de ressenti pur et simple. Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ne me semble pas mériter pareille opprobre. Avec une esthétique particulière, c'est vrai, et un rendu formel un peu décalé, sa naïveté fondamentale le rendrait plutôt d'après moi complètement inoffensif. Je l'ai revu avec plaisir, un peu moins enthousiaste que la première fois, mais assez content quand même que la France puisse aussi inspirer ce genre d'images.

Le fabuleux destin d'Amélie Poulain
Film français de Jean-Pierre Jeunet (2001)
Deuxième film français le plus vu à l'international, disais-je. Désormais, le premier est Intouchables, autre déformation de la vie quotidienne dans laquelle nous, Français, aimons nous reconnaître malgré tout. C'est un peu, je crois, la caractéristique des films réalisés par Jean-Pierre Jeunet - à confirmer cette année, le prochain étant attendu pour octobre. On notera tout de même que le cinéaste a également réalisé un volet de la saga Alien. Preuve s'il en fallait qu'il est assurément capable d'un autre regard sur le septième art.

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Pour vous donner une idée complète...
"L'oeil sur l'écran" vous propose une autre lecture du film.

mardi 9 avril 2013

Hier encore...

L'interdiction de toute discrimination raciale ? La législation américaine ne l'a consacrée qu'en 1964 ! 1964, c'est également l'année qu'a choisi Alan Parker pour l'intrigue de Mississipi burning, un film sorti 24 ans plus tard. Le cinéaste anglais se délocalise dans le Sud des États-Unis pour évoquer la corruption de la société de l'époque. Thème principal: l'enquête de deux agents du FBI après la disparition de militants de l'égalité, en fait assassinés par quelques notables locaux liés au Ku Klux Klan. Une histoire inspirée d'une vraie affaire.

Au-delà de la résolution d'une intrigue criminelle, le film vaut aussi pour l'opposition de style entre ses deux policiers de héros. J'ai trouvé intéressante la prestation du duo Gene Hackman / Willem Dafoe. Ensuite, quand j'ai découvert que le premier rôle féminin était confié à Frances McDormand, ma joie a été complète: Mississippi burning brille notamment grâce à cette excellente distribution. Il y a toutefois d'autres éléments qui le tirent vers le haut: son aspect historique, donc, la complexité de son scénario, une photographie récompensée d'un Oscar mérité, une bande originale mélangeant sonorités contemporaines et vieux airs de blues. Une belle réussite d'ensemble.

J'aime bien ces films où l'Amérique se regarde en face, sans ciller devant ses côtés obscurs. Et quand on pense que les événements décrits n'ont même pas cinquante ans ! Comme le suggère d'ailleurs l'un des personnages, il y a peut-être bien encore deux Amériques, unies sur le plan géographique, mais fort différentes dans leur mode de vie. Je n'exclus pas tout à fait que Mississippi burning puisse conserver une certaine pertinence face aux turpitudes du monde d'aujourd'hui. D'autres ont peut-être simplement remplacé les Noirs dans la peau des boucs émissaires. Un peu désabusée, la fin du film suggère qu'Alan Parker n'en pensait pas moins. Une leçon à méditer.

Mississippi burning
Film américain d'Alan Parker (1988)

Sans être exceptionnel, le long-métrage se regarde sans déplaisir aucun. Pour une version drôle de l'Amérique profonde, je recommande vivement l'impayable O'brother des frères Coen. Vous avez évidemment le droit de préférer les frissons que procure un thriller campagnard comme Délivrance. Mais méfiez-vous des culs terreux !

samedi 6 avril 2013

Alain Olivieri se confie

Après Code inconnu et Caché, Amour est le troisième des films qu'Alain Olivieri tourne avec Michael Haneke. Premier assistant réalisateur du cinéaste autrichien, il a très généreusement accepté de répondre à des questions sur cette expérience et, plus largement, son métier et sa carrière. Je le remercie d'autant plus sincèrement qu'il m'a également proposé quelques-unes des photos qui illustrent cette interview. Et je laisse donc parler sa passion pour le cinéma...
 

Amour a reçu la Palme d'or, cinq Césars majeurs, mais aussi l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Comment vivez-vous cette reconnaissance ?
Bien ! C'est toujours agréable d'avoir participé à un film qui récolte des récompenses. Plus il y en a, plus nous montons en reconnaissance. Je me sens complètement associé au film en tant que collaborateur privilégié de Michael Haneke, donc oui, ça fait plaisir.

L'une de ces récompenses vous touche-t-elle particulièrement ?
La Palme d'or est quand même le summum du cinéma international, la récompense suprême. L'Oscar, c'est beau, parce que ça vise le public américain et que c'est retransmis à travers le monde. Après, effectivement, pour la majorité des gens, le Festival de Cannes reste l'événement de cinéma le plus important au monde.

Comment avez-vous décidé de faire du cinéma ? Et pourquoi avoir choisi le métier de premier assistant ?
J'ai eu un premier contact avec le cinéma à 10-12 ans comme figurant. J'étais déjà un peu titillé. Ensuite, j'ai grandi, j'ai voulu faire de la photo, mais ça ne marchait pas. J'ai donc fait des études de cinéma parce que ça me plaisait, en montant à la capitale. J'imagine que ça s'entend sûrement: je ne suis pas du coin. J'ai commencé par le plus bas échelon du métier, assistant régie. Par la suite, j'ai eu l'opportunité de devenir premier assistant, un métier que j'aime beaucoup. Au fond, c'est un peu le hasard: le cinéma a fait de moi ce qu'il a voulu.

Rien à voir avec un quelconque héritage familial, donc...
Non. Je suis le seul intermittent et saltimbanque de ma famille.

Avec Michael Haneke, vous vous retrouvez de loin en loin...
Oui. Quand il a fait son premier film en France, c'est Marin Karmitz de MK2 qui m'avait déniché. Michael avait écrit un scénario pour Juliette Binoche, Code inconnu. L'assistant français qu'il avait choisi a connu quelques soucis et il a donc été obligé d'en changer. C'est alors que le directeur de production, avec lequel j'avais déjà fait un premier film, a pensé à moi. Cette première expérience avec Michael s'est bien passée. Nous nous sommes très vite entendus et depuis, quand il vient travailler à Paris ou en France, il m'appelle. Fidèle, il sait aussi pouvoir compter sur les gens. Il a bien sûr fait d'autres films sans moi: La pianiste, Le ruban blanc ou Le temps du loup. Mais quand il tourne avec des Français, c'est moi l'assistant.

Code inconnu, Caché et Amour: une suite logique ?
Pour Caché, je n'ai fait qu'une partie du film, à Paris. Il y a eu ensuite une partie tournée à Vienne. Pour de sombres raisons de coproduction, Michael avait soi-disant promis à son assistant autrichien de le faire travailler. Ça a vraiment surpris tout le monde, Daniel Auteuil et Juliette Binoche compris, mais je dis tout de même que j'ai fait le film, cinq semaines sur neuf, et les plus difficiles, puisque le tournage avait alors lieu en extérieur.

Et sur Amour, donc, quel a été votre rôle ?
Celui du premier assistant: organiser les choses avec Michael, qui est très attentif. Je lui montrais comment j'organisais le travail prévu, nous en discutions et il me disait s'il avait besoin de plus de temps ici ou là. Sur la durée, nous sommes en général vite d'accord. Tout est alors question de détails. Comparé à d'autres, le fait est que Michael est quelqu'un de très exigeant, de très professionnel. Il travaille énormément et demande la même chose à ses collaborateurs, proches ou non. Il faut répondre à cette exigence. Ensuite, quand on travaille dans son sens, tout va bien. Mon métier est pratiquement le même pour tous les films, mais, en fait, j'adapte également ma personnalité en fonction du réalisateur avec lequel je travaille.

Depuis tout ce temps que vous travaillez avec lui, avez-vous noté une évolution dans la méthode de Michael Haneke ?
Non. Depuis que je le connais, il est toujours aussi pointu sur tout. J'apprends évidemment à mieux le connaître à chaque fois, mais je ne vois pas de changement radical. Il a toujours eu ce souci du détail, de la minutie, de la précision. Il sait parfaitement où il va et ce qu'il veut. Il ne tourne pas ce dont il n'a pas besoin. En même temps, au fil du temps, on acquiert des automatismes. J'étais arrivé tard sur le tournage de Code inconnu et ça s'était bien passé. Pour Caché et Amour, nous étions vraiment très complices. Quand j'ai quelque chose à dire, je ne me dégonfle pas, que ce soit lui ou un autre.

Pouvez-vous donner quelques exemples de ce que vous êtes amené à faire ? Puisque Michael Haneke est si minutieux, de manière provocante, j'ai envie de vous demander à quoi sert l'assistant...

À décharger le réalisateur de tout ce qui est des tâches de base. C'est lui qui choisit, qui dirige, mais ensuite, il faut que les choses soient là. C'est à moi de les faire rouler et d'arrondir les angles parfois. Ayant déjà eu la chance de travailler avec Michael, je dis aux autres personnes du plateau d'être attentives à certaines choses. Pas pour être rabat-joie ou vieux con, mais je sais que, quand il fait une demande, elle est en général précise. C'est un travail de relationnel.

C'est plus facile de travailler avec un réalisateur qu'on connaît déjà ?
Tout à fait. On connaît alors ses goûts, ses habitudes, ses marottes et ses fixettes. Connaître sa personnalité facilite les choses, bien sûr. Cela dit, il m'est fréquemment arrivé de ne travailler qu'une seule fois avec un metteur en scène et je me suis toujours adapté. C'est ça aussi, le métier d'assistant.

Comparé aux autres films de Michael Haneke, Amour présente-t-il des spécificités ?
Oui. C'est d'abord un huis clos, avec deux personnages âgés. Michael a un peu écrit cette histoire pour Jean-Louis Trintignant. Ce n'est pas tous les jours qu'un film a en têtes d'affiche deux comédiens de plus de 80 ans. Dans l'organisation du travail, on a donc connu des horaires un peu bizarres par rapport à la pratique habituelle et pris des précautions particulières. On a tout fait pour qu'ils soient confortables et se fatiguent le moins possible. Des semaines assez intenses. Amour a été un peu spécifique de ce point de vue, en effet.

Michael Haneke fait beaucoup tourner ? Ou préfère-t-il souvent garder la première prise ?
C'est très variable, en fait. Certains réalisateurs sont connus pour faire beaucoup de prises, Francis Veber, par exemple, avec qui j'ai travaillé. Michael sait ce qu'il veut: si on parvient à l'obtenir au bout d'une prise, on n'en fait qu'une. Cela dit, Michael sait que le temps compte également et qu'on ne peut pas toujours forcer les choses. Même s'il manque une simple intonation sur une virgule et si l'esprit de la scène est là, il ne va pas forcément aller plus loin.

On imagine que, de ce point de vue, les choses sont plus simples avec Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant...
Oui et non. C'est vrai qu'ils ont beaucoup de métier, mais ce film est quand même un peu spécial, vu le sujet et ce qui arrive aux personnages. Michael leur a parlé. Il a beaucoup travaillé avec eux. Les scènes où elle est très malade et où il doit s'occuper d'elle, l'aider à changer de fauteuil, sont quand même très compliquées.

Avec quels autres membres du plateau travaillez-vous ?
Avec tout le monde. Le premier assistant, c'est la véritable plaque tournante du plateau. Il doit connaître ce que chacun y fait, en gardant par ailleurs une grande disponibilité pour le metteur en scène, les comédiens et les techniciens. C'est lui qui doit savoir précisément ce qui se passe à un temps T et ce qui se passera ensuite. Quand il y a des problèmes, il doit aussi proposer des idées. Le réalisateur décidera, mais au moins, avec ça, on peut avancer. C'est un métier qui demande pas mal de qualités humaines. Je considère que, talent mis à part, avec une tête bien pleine et un peu de jugeote, on peut faire du cinéma à n'importe quel poste. La technique s'apprend avec l'expérience et ne représente finalement qu'un tout petit pourcentage de temps par rapport à tout ce qui peut se passer du point de vue des relations humaines sur un plateau.

En revanche, vous n'allez pas plus loin. Pas de mission spécifique en post-production, par exemple...
Non. Quand le tournage du film est terminé, mon travail l'est également.

Vous avez côtoyé plusieurs autres grands réalisateurs: Pialat, Costa Gavras, Brisseau... des différences d'approche ?
Chacun a sa personnalité. Pialat a sa réputation, que je confirme et infirme à la fois. Même si j'ai eu quelques soucis avec lui, je lui garde une vraie tendresse. Avec les autres, évidemment, il faut s'adapter. Costa Gavras et Jean-Jacques Annaud sont un peu plus carrés, peut-être, mais ils ont leur façon d'être. Chacun a ses particularités.

Vous avez travaillé sur plusieurs comédies. Même ambiance ?
Non, forcément. La comédie est là pour amuser le public. On s'amuse d'abord, nous ! Après, quand on tourne un film comme Amour, on ne se poile pas tous les jours sur le plateau. Cela dit, bien qu'intériorisé et parfois hermétique, Michael Haneke a beaucoup d'humour et j'aime travailler dans la bonne humeur. Ce n'est pas parce qu'on fait des choses difficiles, intenses ou sérieuses qu'on ne peut pas la garder. Je suis incapable de travailler avec des gens qui font la tronche ! L'assistant sert aussi à faire prendre la mayonnaise entre chaque intervenant. Il faut s'adapter et amener l'équipe avec soi.

Pas trop difficile, parfois, d'être dans l'ombre du réalisateur ?
Pour moi, non. C'est un métier que j'ai choisi. Je n'ai aucune velléité de réalisation. Je m'éclate à aider un metteur en scène à faire son film et à monter les choses selon ses instructions, sauf si bien sûr il me demande de me débrouiller. Je sais que je fais un travail de l'ombre, qu'il n'y a pas de César et pas non plus d'autre prix pour les assistants à la mise en scène... mais quand un film obtient une récompense, ça rejaillit aussi un peu sur moi. Les gens du métier savent bien que le metteur en scène n'a pas fait ça tout seul.

Et comment supporte-t-on alors l'attente entre la fin du tournage et la sortie du film en salles ?

A priori, une fois que le film est fini, je passe à autre chose. L'histoire se poursuit sans moi: le film peut sortir six mois ou un an et demi plus tard. Ce n'est pas nous qui en décidons. Le distributeur peut faire le choix de le laisser dans sa boîte et de ne le sortir qu'à une date donnée pour des raisons marketing. On reste bien sûr friand de voir le film fini: c'est quand même notre travail. Personnellement, je n'ai pas d'angoisse: dans la logique des choses, il y a forcément un moment où on va m'appeler pour m'inviter à une projection privée ou à une avant-première. Pour Amour, par exemple, j'ai raté la projection pour l'équipe en août dernier. Je ne l'ai vu que le jour de son avant-première parisienne. Avec certains metteurs en scène, il arrive qu'on puisse voir des extraits ou des bouts de montage, mais c'est extrêmement rare. Et je n'en ai pas toujours le temps.

Avec tout ça, vous avez encore le temps d'aller au cinéma ?
Un peu, oui.

Et c'est comment, de voir le film des autres comme spectateur ordinaire ?
Je suis plutôt bon public, mais c'est vrai que, si le film n'est pas trop bon, s'il ne m'intéresse pas beaucoup, j'ai tendance à voir les défauts, les faux raccords, les bêtises que personne ne remarque. On a un oeil un peu plus aguerri parce qu'on sait comment ça marche.

Est-ce qu'il vous arrive de sentir la patte d'un assistant réalisateur donné ?
Non, c'est impossible. Si c'était le cas, il n'existerait pas de Palme d'or ou de César de la mise en scène. C'est le réalisateur qui amène le film où il veut. Certains assistants sont plutôt orientés vers les films à grand spectacle, d'autres non. Moi qui ai fait des films d'un peu tous les genres, je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il y a une touche Olivieri. Si c'était le cas, on dirait que le réalisateur a raté son coup. Ou que c'est l'assistant ou le chef opérateur qui a fait le film...

Quels sont les derniers films que vous avez aimés ?
Zero dark thirty et, pour parler d'un film que j'ai vu un peu tardivement en DVD, Comme des frères, un premier long-métrage charmant.

Vous êtes aussi l'un des deux vice-présidents de l'Association française des assistants réalisateurs. Quel est son rôle ?

L'association est née il y a quinze ans bientôt de la réunion de sept assistants, des copains qui en avaient marre d'être chacun dans leur coin. Leur idée était d'avoir du boulot, d'échanger sur leur expérience et de défendre une certaine façon de faire ce métier. Je ne suis pas membre fondateur, mais de sept membres, l'association est passée à onze et on compte aujourd'hui 115 adhérents. Elle est bien connue du monde du cinéma. Sans but lucratif, grâce à des bénévoles, il s'agit aussi de transmettre le savoir pour que le métier perdure et ne devienne pas n'importe quoi. Il n'y a pas de vraies règles, mais nous avons défini une charte. On peut donner des conseils aux plus jeunes pour les aider, trouver un avocat, parfois se faire payer...

Peut-on dire qu'il y a une méthode de travail française ?
Oui et non. Nous avons une méthode française, européenne ou plutôt latine, je dirais, même si la préparation d'un film se vit différemment en fonction des pays. On considère souvent que le système anglo-saxon est plus rigide. L'essentiel du travail reste le même partout: l'assistant, c'est le gars qui fait ce qu'il a à faire à un temps précis et qui sait quand tout le monde est prêt, même si c'est encore au metteur en scène de dire "Action !".

Si vous aviez pu faire un autre métier de cinéma, qu'auriez-vous choisi ?
Je rêvais d'être chef opérateur ! Quand j'ai connu mon expérience de figuration, j'étais fasciné par ce mec qui créait de la lumière pendant que nous, gamins, nous étions à l'ombre des platanes, à Marseille. C'est ce qui m'a donné le goût de la photo et du cinéma.

Vous avez idée d'un artiste avec lequel vous aimeriez travailler ?
Non, pas spécialement. Je surfe sur la vague. Je fais du cinéma depuis bientôt trente ans. Je travaillerai avec celui qui aura envie de moi ou que j'aurai rencontré par hasard. Si Spielberg m'appelle, je serais ravi, bien sûr, mais j'aime autant faire ce que j'ai fait il y a deux ans, avec un inconnu: Le cochon de Gaza, qui a eu le César du meilleur premier long-métrage. Si vous ne l'avez pas vu, c'est un très beau petit film, venu à moi grâce à une rencontre avec un copain producteur. J'ai dit banco avant même de rencontrer le réalisateur, Sylvain Estibal. Sa récompense nous a fait très plaisir. On a vraiment vécu une belle aventure. Lors de la cérémonie, au pupitre, il a cité son chef opérateur et son premier assistant. J'ai un peu de bouteille et parfois la chance de pouvoir choisir. Si ça me plaît et si je suis libre, tout est possible.

D'autres projets avec lui, encore ?
Sylvain a un autre métier que réalisateur et va, je crois, s'y consacrer d'abord. On verra.

Vous en avez en revanche avec Albert Dupontel et Daniel Auteuil...
Avec Dupontel, c'est fait: le film est en montage. Avec Daniel Auteuil, on a travaillé sur Marius et Fanny, de la trilogie marseillaise. On aurait dû faire également César, mais Pathé a préféré attendre la sortie des deux premiers à l'automne prochain pour le troisième. C'est donc prévu en 2014.

Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter de mieux ?
Simplement de faire des films ! J'ai la chance d'être monté à Paris faire un métier que j'ai choisi il y a bientôt trente ans et d'être toujours là aujourd'hui. Tant que je peux être debout et courir sur le plateau, je peux continuer. Alors, que les gens m'appellent ! Il paraît que je ne suis pas trop mauvais comme assistant...