lundi 29 octobre 2012

La couronne ou...

Au sortir d'une rude journée de travail, j'ai eu il y a peu une envie irrépressible de m'évader. Le cinéma offre de grandes opportunités dans ce domaine, mais je voulais voir quelque chose d'inhabituel. Après quelques hésitations, j'ai choisi La vie privée d'Elisabeth d'Angleterre - on parle ici de la première, qui régna sur son pays entre 1558 et 1603. Sorti à la toute fin des années 30, un petit mois après que la France et la Grande-Bretagne sont entrés en guerre contre l'Allemagne, c'est l'un des vieux films de ma collection DVD.

Il est d'ailleurs amusant de relever que le titre français escamote complètement l'autre personnage important du long-métrage. La vie privée d'Elisabeth d'Angleterre évoque en effet pareillement celle du comte d'Essex, son amant. Bon: je tiens à préciser que je parle bien de cinéma hollywoodien. Il ne faut probablement pas attendre d'un tel spectacle qu'il respecte strictement la vérité historique. Personnellement, détaché même de toute vraisemblance, j'ai passé un bon moment. Le scénario place la souveraine dans la position délicate de la femme amoureuse, mais que son sens du devoir contraint à réfréner ses ardeurs. L'homme qui lui fait face serait peut-être un merveilleux mari. Pourrait-il être également un bon roi ? C'est parce qu'elle ne le croît pas que la reine se refuse obstinément à convoler. Et tant pis, au fond, si ça la fait souffrir le martyre ! L'intérêt supérieur du peuple lui paraît réclamer d'elle ce sacrifice.

Bientôt trois quarts de siècle après sa sortie, le film a certes vieilli. Le message qu'il délivre garde toutefois quelques résonances actuelles. Qu'est-ce qu'une ambition légitime ? Quels sont les moyens de l'assouvir ? Sous le vernis mélodramatique propre à ce cinéma américain d'époque, La vie privée d'Elisabeth d'Angleterre pose d'intéressantes questions. Je dois dire qu'on peut également prendre du plaisir à savourer cette jolie vieillerie au tout premier degré. Franchement pas spectaculaire, le long-métrage garde un charme suranné grâce à ses costumes et décors anciens. Le fait qu'il soit largement tourné en plateau lui confère un très agréable aspect théâtral - il s'inspire d'ailleurs d'une pièce. Quant aux acteurs, on a dit que Bette Davis n'aimait pas Errol Flynn et qu'elle aurait voulu donner la réplique à Laurence Olivier, mais le jeu n'en souffre guère. À voir aussi, Olivia de Havilland et Vincent Price en seconds rôles.

La vie privée d'Elisabeth d'Angleterre
Film américain de Michael Curtiz (1939)

Pour conclure, passionné par la période élisabéthaine, je vous invite à revoir deux autres films autour de la reine: Elizabeth et sa suite Elizabeth - L'âge d'or, avec Cate Blanchett dans le rôle-titre. Maintenant, si vous préférez le cinéma vintage, j'indique également que j'ai d'autres films d'Errol Flynn en rayon et que j'y reviendrai donc... tôt ou tard. Vous noterez dès à présent que le réalisateur évoqué aujourd'hui est aussi celui d'un immense classique sorti quatre ans plus tard: le grand, superbe et inoubliable Casablanca !   

dimanche 28 octobre 2012

Facebook, c'est mieux ?

La dernière évolution importante liée à ce blog ? C'était la création d'une page dédiée sur Facebook, il y a un an jour pour jour. Question pas-vraiment-subsidiaire: qu'est-ce qui a changé depuis ? Réponse sans réfléchir: pas grand-chose. Je veux tout de suite rassurer ceux d'entre vous qui suivent Mille et une bobines en surfant sur le réseau social: la page ne disparaîtra pas. Je sais très bien qu'elle m'apporte un peu de visibilité supplémentaire. Combien au juste ? Je l'ignore. J'avoue sans honte que je n'y prête au fond qu'une attention modérée.

Sur la quarantaine de membres enregistrés sur la page, j'avais pu constater qu'il y avait une demi-douzaine d'inconnus. Las ! La firme américaine a fait joujou avec les paramètres de confidentialité. Désormais, verrouillant son système,  elle me bloque l'accès à ceux qui ne sont pas également mes amis facebookiens. C'en est terminé de l'espoir de pouvoir approcher ces lecteurs, redevenus anonymes. Après y avoir songé, j'ai réagi trop tard. Alors tant pis pour moi ! Chacun demeure libre de me contacter et/ou de me faire de la pub.

Facebook peut toujours servir d'alerte (ou de pense-bête) à tous ceux que je connais ou que j'ai identifiés. C'était d'ailleurs la fonction première que je lui avais assignée. Un an après, je constate également que mes messages sont - un peu - plus commentés là-bas qu'ici, directement sur Mille et une bobines. La fonction "J'aime" chère au réseau social me laisse parfois dans le doute: a-t-on voulu saluer ma chronique ou bien le film qu'elle évoque ? Ambiguïté typique des communications Internet. Twitter, je passe mon tour.  

jeudi 25 octobre 2012

Jack et les Indiens

Et dire que certains ont accusé Arthur Penn de révisionnisme historique ! Comment être aveuglé à ce point ? Pourquoi se focaliser sur cette stérile controverse ? Avant même les crédits du générique initial, quand Little big man débute, on découvre son personnage principal en piteux état. Pourquoi attendre un quelconque réalisme d'un film dont le héros est censé avoir 121 ans ? J'ai préféré savourer ce western sans me poser de questions. Il s'y passe de toute façon suffisamment de choses pour ne pas gamberger. Quelques minutes après l'introduction, c'est parti pour deux heures de flash-back...

Dans l'Amérique du 19ème siècle, Jack Crabb est un jeune colon blanc. Partis vers le grand Ouest avec leur famille, sa soeur et lui sont les uniques rescapés d'une attaque d'Indiens. Capturé ensuite par une autre tribu, Jack sera bien traité et assez vite considéré comme un Cheyenne comme les autres. Surprise: le scénario obliquera alors dans une autre direction. Pour échapper à une mort certaine lors de l'assaut d'un groupe de pionniers, Jack se fera reconnaître comme l'un des leurs, abandonnant le nom d'emprunt qu'un vieux homme lui avait donné: Little big man. Moins valeureux qu'il pouvait y paraître de prime abord, le "héros" du long-métrage éponyme fera alors des allers-retours constants entre les peuples. Invraisemblable ? Soit. Le film n'en est pas moins remarquable. Jamais auparavant, je n'avais découvert de production américaine aussi ancrée du côté des "native Americans" et dont le personnage principal n'est pourtant pas un modèle de vertu. Et c'est justement parce qu'il reste très loin des archétypes que Jack Crabb convainc !

Finalement, j'ai envie de vous dire qu'il nous ressemble ! Le ton général du long-métrage surprend lui aussi, du coup. La fresque attendue n'en est pas vraiment une. Au fond bien plus picaresque qu'épique, le long-métrage est parfois étonnamment... drôle. Impressionnant d'opportunisme, Jack Crabb se tire toujours d'affaire. Chaque pas en avant dans la vie le place dans des situations difficiles et cocasses à la fois. Soyez prévenus toutefois que Little big man n'est pas une comédie. Le dernier tiers du film bascule même franchement dans le drame. Qu'importe au fond s'il y a là relecture historique partiale - certains disent d'ailleurs qu'Arthur Penn cherchait une allégorie pour évoquer la guerre du Vietnam. Doucement mais sûrement, ce qu'il nous raconte assène un uppercut à l'estomac. Sur la grande palette des émotions, du rire aux larmes et inversement, il a trouvé en Dustin Hoffman un partenaire remarquable. Je n'oublierai pas non plus ces Indiens, comédiens souvent amateurs: ils apportent beaucoup à cette oeuvre poignante.

Little big man
Film américain d'Arthur Penn (1970)

Le premier film comparable qui m'est venu à l'esprit, c'est logiquement le fabuleux Danse avec les loups de Kevin Costner. L'occasion de constater qu'Arthur Penn a une vingtaine d'années d'avance ! Je reparlerai très prochainement d'un autre western amical avec les Indiens. De par son ambivalence même, celui d'aujourd'hui n'est pas loin du chef d'oeuvre. C'est en tout cas un grand classique que je suis content d'avoir vu. Et donc, oui, vivement le suivant !

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Une dernière petite chose...

Vous noterez que "L'oeil sur l'écran" parle du film également.

mardi 23 octobre 2012

Peur sur la ville

Préserver le suspense: c'est le défi que présente souvent la rédaction d'une chronique cinéma. Je déteste spoiler, comme on dit parfois aujourd'hui en usant d'un jargon franglais bâti sur un mot qui signifie gâcher - le plaisir des autres, en l'occurrence. Une partie du succès de Cloverfield tient justement à ce que sa sortie en salles n'avait été précédée que d'informations très partielles sur son contenu. Malice paraît-il typique du producteur, J.J. Abrams, que j'ai déjà évoqué ici en qualité de réalisateur. Je vais essayer de ne pas trop en dire...

Mon titre vous donne tout de même une petite approche du ton général du long-métrage. Quand Cloverfield commence, un groupe de jeunes adultes américains se prépare à fêter le départ au Japon de l'un d'eux. Pour Rob et sa copine Beth, qu'on a déjà vus un instant plus tôt, dans une séance flash-back, au réveil d'une nuit d'amour, l'heure est venue de se dire adieu. À peine le temps de voir sa soirée gâchée par le départ précipité de la demoiselle, le héros du film débarque sur les toits de l'immeuble... qu'une importante secousse vient d'ébranler. Et voilà qu'au loin, un autre gratte-ciel est le théâtre d'une violente explosion ! Il s'est exactement passé un quart d'heure depuis les premiers plans du film. La présentation des protagonistes est terminée et c'est là que le scénario entre dans le vif du sujet. Comment ? J'ai donc décidé de ne pas le dire. Pas besoin de chercher longtemps pour le savoir. Une recherche sur Internet peut suffire.

Vous aurez de toute façon compris que la fête va tourner court. J'ajoute simplement que le film a bâti sa petite notoriété en utilisant la technique dite du found footage (enregistrement trouvé). L'idée est de confier la caméra à un personnage et de dire que les images proposées aux spectateurs ne sont donc rien d'autre que ce qu'aurait été la vision subjective de ce personnage. Il faut dès lors admettre que l'intéressé ne soit plus là pour décrypter ce qu'il a filmé. Audacieux même si plus franchement novateur à l'époque, le concept s'appuie ici sur un certain réalisme: ce qu'on voit à l'écran sort donc du caméscope d'un ami de Beth et Rob, qui participait à la fête. Évidemment, Cloverfield devrait faire tiquer les tenants d'un cinéma vraisemblable. Il pourrait ne pas plaire à ceux qui aiment les cadres posés et les plans fluides. Les autres apprécieront peut-être mieux cette course-poursuite urbaine rythmée par la peur. C'est mon cas.

Cloverfield
Film américain de Matt Reeves (2007)

Je ne regrette qu'une chose: avoir vu le film à la télé. Il doit donner toute sa mesure sur un écran cinéma. Certaines de ses images m'ont rappelé celles... des attentats du 11 septembre ! Des gerbes de feu aux envolées de poussières, l'Amérique se frotte à ses démons. Malgré quelques effets faciles et deux foutues coupures pub, je suis bien entré dans le "jeu". Il me faudra un jour découvrir Le projet Blair Witch, le film souvent cité en référence du found footage. Avant cela, je vous réoriente vers Chronicle, sorti cette année.

dimanche 21 octobre 2012

Au milieu de nulle part

Je suppose que vous avez fini par le remarquer: j'aime les films improbables. Bon. Je me dis aussi que vous pourriez vous demander ce que je place sous ce vocable. Improbable, pour moi, ça veut dire "qui sort plutôt des sentiers battus et dont, quel que soit le style considéré, je n'aurais jamais pu imaginer le scénario". J'ai revu Badgad Café récemment et je crois pouvoir dire qu'il correspond bien à la définition. Première bizarrerie: tourné sur le bord d'une route américaine, c'est pourtant un film... allemand ! Une Bavaroise ventripotente, larguée par son mari, y débarque dans un motel tenu par une autre femme, qui vient, elle, de mettre son jules à la porte.

Bagdad Café est un voyage - immobile - dans l'Amérique profonde. Avec moins d'une dizaine de personnages et un lieu de tournage unique, le réalisateur arrive à nous embarquer dans son histoire. Beaucoup d'entre vous se souviennent sans doute de la bande originale du film. D'autres la reconnaîtront certainement rapidement après une recherche Google. Parce qu'au fond, il ne raconte pas énormément de choses, le film se distingue bien plus ostensiblement par l'ambiance qu'il instaure. On n'est d'ailleurs pas obligé d'apprécier ces nombreux filtres colorés qui altèrent l'image. J'ai trouvé, moi, qu'ils contribuaient efficacement à l'aspect onirique du long-métrage.

On n'y croit guère, mais ce n'est pas grave, je trouve. Avec le ton très particulier de cet objet filmique non identifié, les comédiens parviennent à nous faire entrer dans l'intimité de cette petite heure et demie de cinéma décalé. Il paraîtrait même que le succès critique et public de Bagdad Café a contribué à faire connaître et aimer l'endroit où le long-métrage est tourné ! Je trouve qu'il y a vraiment quelque chose de rassurant dans ce constat que le cinéma n'a pas besoin d'être formaté pour toucher les gens. Je signerais volontiers pour d'autres "expériences" de ce genre. Et même s'il m'aura fallu attendre 25 ans pour mieux saisir la valeur de ce drôle de petit film...

Bagdad Café
Film allemand de Percy Adlon (1988)

Difficile de comparer ce long-métrage avec un autre ! Je ne connais pas d'histoire équivalente au cinéma. Restons-en à ce que j'ai ressenti. Pendant que je regardais le film, j'ai pensé aussi à la folie d'un autre vu récemment: Arizona dream. Même si elles sont objectivement plus noires, je constate d'ailleurs qu'Emir Kusturica a lui aussi traversé l'Atlantique pour donner libre cours à ses rêveries. Vive le cinéma universel ! Ça peut faire une belle conclusion, non ?

jeudi 18 octobre 2012

La démarche de Benjamin Bardou

Vous avez regardé les courts-métrages de Benjamin Bardou présentés ici même mardi ? Je vous propose désormais de faire connaissance avec le réalisateur. Il me faut souligner que c'est lui qui m'a sollicité pour parler de son travail. Après m'avoir proposé d'apprécier son inspiration, il a également accepté de répondre rapidement à quelques questions par mail. Je vous présente aujourd'hui le résultat de cet échange à distance assez... inattendu.

Comment vous présenteriez-vous ?
Benjamin Bardou,  31 ans, de formation artistique. J'ai un intérêt très vif pour tout ce qui est relatif à la perspective et à l'architecture.

Votre site Internet présente vos travaux de
matte painting. C'est par ce biais que vous avez abordé l'écriture cinématographique ?
Après mes études, j'ai effectivement commencé à travailler, il y a dix ans, dans le secteur de la post-production comme matte-painter. Issue de la peinture sur verre, cette technique numérique est utilisée pour recréer des architectures ou décors superposés à des plans préalablement tournés.
 
Pourquoi vous être notamment tourné vers Paris dans chacun de ces courts-métrages ? Quelle image voulez-vous donner à la ville ?
Mon arrivée à Paris a été pour moi aussi bien un choc qu'une fascination. J'ai voulu comprendre le mystère qui entoure cette ville. Dans mes recherches, par le biais du graveur Charles Meryon dont je connaissais l'oeuvre, je suis tombé un jour sur le livre Paris, capitale du XIXème siècle, de Walter Benjamin. Désormais, il ne me quitte plus. Dans ce livre, ce philosophe majeur étudie l'émergence du capitalisme dans la capitale parisienne. Il utilise des catégories d'objets très originales, comme les passages parisiens ou bien encore le praxinoscope, pour montrer la dimension onirique que ceux-ci véhiculent. Il parle de fantasmagories. Il s'intéresse aussi au rôle de l'image et bien entendu aux débuts du cinématographe. Pour faire bref, ce livre a déterminé l'architecture de mon premier court-métrage, Paris, capitale du XIXème siècle. Je le vois comme une petite histoire de la perception urbaine. Comment les citadins de l'époque percevaient-ils la ville avant que les techniques de décomposition du mouvement existent ? C'est la raison pour laquelle ce film fait une sorte de généalogie des techniques de reproduction (photographie, chronophotographie, phénakistiscope, cinéma) en lien avec des lieux qui, pour moi, rentrent en résonance avec celles-ci. Par exemple, comment ne pas voir dans les grands magasins, avec leur architecture circulaire et cyclique, un prolongement du praxinoscope créé vers cette même époque ? Cela reste très hypothétique, mais je ne conçois pas le cinéma autrement que comme un instrument de recherche.

Votre processus créatif est-il long ?
Pour Paris, capitale du XIXème siècle, techniquement, le court-métrage a été très fastidieux à réaliser. La totalité des plans a été photographiée ou tournée en DV, excepté l'intérieur du début qui est une photographie du 19ème siècle. Ensuite, j'ai traité numériquement l'ensemble pour lui donner une patine ancienne. Mon but était de jouer sur les différentes époques et sur l'étrangeté, je dirais fantasmagorique, de l'image. Cela m'a pris environ trois années de travail. Je tiens à préciser que ce film est censé être projeté en boucle dans un espace de diffusion type exposition. L'idée est de concevoir une boucle parmi les autres cycles de circulation de la ville. En ce qui concerne le film Tableau parisien n°1, c'est un prolongement de mon intérêt pour Walter Benjamin. Cet auteur très complexe a abordé énormément de sujets avec une grande cohérence. Il a entre autres traité des thèmes de l'Histoire et de la mémoire. Et développé le concept d'image dialectique, qui me paraît très proche des réflexions sur le montage de Godard et de Pelechian.

D'autres courts-métrages vont-ils suivre désormais ? Un Tableau parisien n°2, par exemple ?

Les Tableaux Parisiens comporteront plusieurs parties qui pourront plus ou moins s'agencer, se superposer, un peu comme les époques qui sont montées/montrées dans ce film. Je pense que ce cycle sera assez vaste et qu'il aura pour but de détricoter ce qu'on appelle l'Histoire des vainqueurs. Le montage dialectique me servirait à redéfinir la notion du temps présent hérité de cette Histoire. Sinon, dans un autre ordre d’idées, je réalise et monte plusieurs vidéoclips. C’est pour moi une façon intéressante de confronter ma technique avec des réalisations sonores contemporaines.

Vous dites que Paris, capitale du XIXème siècle a vocation à être diffusé en des espaces type exposition. Est-ce déjà arrivé ? 
Non, Paris, capitale du XIXème siècle n'a pas encore été diffusé dans un espace d'exposition. J'ai pour projet de le projeter un jour dans un passage couvert parisien, là où ce cher Walter Benjamin aimait déambuler. Peut-être lors d'une Nuit Blanche à Paris...

Avez-vous déjà commencé à travailler sur une autre partie des
Tableaux parisiens ? Comment envisagez-vous la suite de ce cycle ?

En effet, le Tableau parisien n°2 est en chantier. Le cycle suit le mouvement de compression (N°1), expansion et collision. Comme une histoire des masses au XXème siècle prolongée par le XXIème. Je ne pense pas m'arrêter à ces trois parties. J'ajouterai sans doute des post-scriptum ou des annexes. Je vois ce cycle comme un tableau de Paul Klee: une mosaïque de cellules qui peuvent se croiser, se superposer et faire naître un sens différent en fonction de leur configuration.

Vous dites vouloir "détricoter l'Histoire des vainqueurs". Est-ce donc à dire que vous voulez délivrer un message particulier ?
Sans doute. J'ai une conviction politique comme tout un chacun. Choisir et confronter deux images entre elles est avant tout politique, mais la troisième image qui peut en surgir ne peut être imposée. Cela viendra de la sensibilité du spectateur, d'une résonance avec son vécu et sa mémoire. J'avoue que cela reste une supposition. C'est pourquoi je tâtonne, j’expérimente à chaque fois que j'utilise ou non des séquences. Au final, il faut que les photogrammes collent.
 
Vous parlez de perception, d'onirisme, de fantasmagorie. Jusqu'à quel point le cinéma se détache-t-il d’après vous du réel ? Peut-il alors tout (ré)inventer ?
Je ne suis pas particulièrement adepte de cette idée commune que le cinéma doive faire rêver. Cette idée de rêve est sans doute un héritage des fantasmagories du capitalisme triomphant et fascinant du XIXème siècle. Cela expliquerait que ce septième art si prometteur ne soit devenu qu'un divertissement parmi les autres. Bien entendu, le cinéma peut tout réinventer, mais pour cela, il faudrait véritablement un renouvellement des formes. Je pense par exemple aux années 20 et aux théories russes sur le montage. Aujourd'hui, il y a des choses dans le cinéma expérimental. C’est plus ou moins intéressant.

Vous évoquez votre intérêt pour la perspective et l'architecture. Que pensez-vous du relief au cinéma ? De l'usage de la 3D ?

Le cinéma en relief est jeune. Pour l'instant et pour avoir déjà travaillé sur ce genre de production, le résultat me paraît plutôt navrant. Là encore, les producteurs et les réalisateurs sont très paresseux. Mais il y a de l'espoir : c'est nouveau ! Nous pouvons donc créer des formes nouvelles. Je pense qu'un producteur intelligent ressortirait en relief  En présence d'un clown de Bergman, car le sujet s'y prête magnifiquement. Ensuite, le prochain Godard, Adieu au langage, en relief, sera sans doute très intéressant. Je suis curieux de savoir comment le maître du montage va aborder cette (ancienne) technique.

Quelle importance accordez-vous aujourd'hui à Internet dans la diffusion des images ? Est-il pour vous un outil incontournable ?
La miniaturisation des appareils permet de réduire les coûts de production. Internet réduit ceux de diffusion. C'est donc un réel progrès. Néanmoins, les vieux réflexes issus de l'ancien système de production/diffusion sont encore présents sur le réseau. Il reste difficile d'avoir accès à des revues traditionnelles dites spécialisées pour se faire connaître. Celles-ci restent prisonnières de la sortie en salle des films, qui arrive à un niveau de fréquence totalement saturé. Cela rejoint ma thématique du film Tableaux Parisiens qui traite du temps présent. Cette manie de vouloir traiter de films le jour de leur sortie ou même en avant-première est symptomatique. Ici, pour plaisanter, je détournerais bien une phrase de Steiner en disant : "Ce n'est pas le présent qui nous domine. Ce sont les images du présent". A contrario, d'autres sites tels que le vôtre tirent leur épingle du jeu. Grâce à eux, un cinéma différent et nécessaire survit.
 
Jusqu'à quel point le regard d'autrui sur votre travail compte-t-il pour vous ? Les échanges que vous pourriez avoir avec le public influent-ils sur votre travail ?
Je n'ai pas particulièrement d'échange avec le public. Mon travail reste assez confidentiel. Mes films ont assez peu été diffusés lors de festivals. Et de toute manière, le public n'existe pas. Il n'y a finalement que des individus.

Est-ce que vous prenez plaisir à voir du cinéma plus "conventionnel" ?

Je regarde beaucoup de films dits conventionnels en DVD, mais rarement des films contemporains. Je trouve le cinéma d'aujourd'hui très en retard par rapport à ce qu'il devrait être. J'ai l'impression d'avoir affaire à un cinéma encore très académique, comme si c'était l'Ecole de David qui avait gagné et que les Romantiques n'avaient jamais existé. Je vais rarement au cinéma. En payant dix euros ma place à Paris, je m'attends toujours à ce qu'on me donne le DVD du film avec. Par contre, j'ai été emballé par le dernier de Carax ou encore et toujours par les derniers films de Godard. Ses Histoire(s) du cinéma sont pour moi les plus grands films de la fin du XXème siècle. J'attends donc avec impatience ceux du nouveau.

mardi 16 octobre 2012

Essais de montage

C'est une première: Benjamin Bardou, un lecteur du blog, m'a sollicité pour parler d'un de ses courts-métrages. Toujours ravi de pouvoir découvrir de nouvelles formes d'expression artistique, je me suis donc penché sur cette oeuvre et c'est à mon tour de vous la présenter aujourd'hui. Je place ici un petit lien sur le site Internet de Benjamin, sur lequel j'ai découvert non pas un, mais bien deux films format court. Lui dit considérer son travail comme du cinéma de recherche au niveau du montage - d'où le titre de ma chronique. J'espère parvenir à vous inciter à la curiosité, avant de lui donner la parole.

 
D'une durée de douze minutes, Tableau parisien n°1 - a été créé cette année et m'a aussitôt plongé dans l'univers de Benjamin. L'étrange y côtoie l'identifiable. On note qu'au cinéma, une seconde, c'est 24 images: sur pellicule, il y aurait donc quelque 17.280 images dans le petit film créé cette année par le sieur Bardou. Un sentiment s'impose: le réalisateur n'est pas un adepte du plan fixe. Il capte quelques images de Paris au ralenti et les plans défilent alors rapidement, entraînant le spectateur dans une sorte de transe forcée.

Quasi-subliminales, les images s'enchaînent et sont toutes porteuses d'une certaine force évocatrice. Dans le tourbillon, je n'ai pas trop su que penser. Plusieurs voix off et une musique un peu irritante renforcent le mystère. Ici et là, assez ponctuellement, j'ai reconnu des choses familières, mouvements de foule ou scènes de guerre. L'impression laissée n'est pas très apaisée. Tableau parisien n°1 sort très souvent du cadre et impose une frénésie stroboscopique.

En ce sens, il s'inscrit parfaitement dans la lignée du premier court signé Bardou: Paris, capitale du XIXème siècle (2010). Dix minutes tournées cette fois sans la moindre couleur, ce qui renforce nettement l'impression d'images d'archives d'une époque révolue. Et pourtant ! Ce que Benjamin balance à nos rétines semble à nouveau familier. Cette capitale que nous connaissons, nous la reconnaissons. Intemporelle, elle émerge derrière les plans, aussi abîmés soient-ils.

Le réalisateur explique sur son site avoir voulu reproduire le rendu des pellicules du début du XXème siècle. C'est tout à fait réussi ! L'absence de musique et le simple crissement de la bande-son ajoutent au sentiment d'immersion totale dans une autre époque. Perceptible malgré tout, le quotidien prend alors une allure fantomatique, assez poétique. Paris, capitale du XIXème siècle ressemble à un film muet sans personnages. Seul compte le ressenti.

lundi 15 octobre 2012

La bande des quatre

Plutôt que le Kurosawa d'abord envisagé, une soirée entre copains m'a amené à revoir La grande course autour du monde. L'occasion de vérifier que le charme du film reste intact, même si je l'ai déjà vu trois fois depuis juillet 2009. Vous n'aurez qu'un clic à faire sur le lien pour (re)découvrir ce film de Blake Edwards, sorti en 1965. L'évoquer pour la troisième fois me paraît inutile. J'aimerais donc aujourd'hui vous parler des quatre acteurs principaux de cette drôle d'aventure. Une "bande des quatre" à la sauce comique, absolument irrésistible !

Natalie Wood (Maggie DuBois)
En toute logique, et vu qu'elle campe ici une suffragette avide d'affirmer ses talents de pilote, je commence avec la jolie brune. D'origine russe, élevée et "dressée au cinéma" par une mère cruelle, la comédienne est connue pour des rôles importants dans La fureur de vivre, La prisonnière du désert ou encore West side story. Nommée trois fois à l'Oscar, elle a connu une vie privée tourmentée. Décédée par noyade en 1981, elle n'avait alors que 43 ans. La cause de sa mort, jugée d'abord accidentelle, est désormais considérée comme "non déterminée". Un certain mystère entoure cette femme d'une beauté rare, énergique et drôle dans le film évoqué aujourd'hui.

Tony Curtis (Le grand Leslie)
Tout à la fois symbolique et parodique, le personnage qu'interprète ici le papa de Jamie Lee m'est sympathique. L'image du comédien, elle, reste pour moi indissociable du chef d'oeuvre de Billy Wilder, Certains l'aiment chaud. D'autres citeront sans aucun doute la série télévisée Amicalement vôtre. Quand l'acteur accepte de rejoindre Roger Moore au casting, il a 22 ans de carrière cinéma derrière lui. J'avoue que je connais fort mal sa filmographie. On y retrouve notamment trois autres films de Blake Edwards, presque sortis l'un après l'autre dans les années 50: L'extravagant Monsieur Cory, Vacances à Paris et Opération jupons. Curtis était peintre, aussi.

Jack Lemmon (Le professeur Fate)
Mon chouchou ! Le deuxième larron de Certains l'aiment chaud demeure pour moi l'un des plus incroyables comédiens des décennies 50-60-70. Dans le film évoqué aujourd'hui, il me fait rire à chacune de ses apparitions. Son cabotinage XXL me rappelle notamment celui d'un Michel Serrault au meilleur de sa forme. Bien qu'il ait tourné trois fois avec Blake Edwards et sept avec Billy Wilder, Lemmon n'était toutefois pas qu'un acteur comique. J'espère un jour pouvoir vous le présenter dans un registre plus sérieux, mais je n'ai pas encore les films qu'il faut pour ça. En attendant, un petit conseil cinéphile: voyez La garconnière ou Avanti ! Et plus si affinités...

Peter Falk (Max)
Son image est indissociable de celle de l'inspecteur Columbo, le héros de la série télé éponyme, 69 épisodes et 35 ans en imperméable miteux. C'est normal et un peu injuste à la fois. Falk était bien plus que ça ! Révélé à la toute fin des années 50, alors âgé de 36-37 ans, il a laissé derrière lui une soixantaine de longs-métrages de cinéma et d'autres apparitions télévisées marquantes. Jubilatoire en crétin fini, il tenait un rôle un peu comparable dans l'étonnant Un monde fou, fou, fou, fou de Stanley Kramer. Parmi les curiosités notables de sa prolifique carrière, je pourrais citer sa présence au générique du dessin animé Gang de requins ou sa participation au classique allemand de Wim Wenders, Les ailes du désir, dans son propre rôle.

samedi 13 octobre 2012

Lost in translation

Nombre de mes amis s'intéressent au Japon. Certains d'entre eux rêvent d'y aller et quelques-uns ont même déjà fait le voyage. Je dois dire que cette perspective ne me serait pas non plus désagréable. Maintenant que je me suis rendu en Chine, un voeu exaucé, l'archipel nippon est peut-être bien à classer parmi mes destinations idéales pour l'avenir. En attendant, quand je le peux, je m'y confronte aussi via le cinéma. Ce qui m'amène aujourd'hui à vous parler de Zatoichi. Mon premier Takeshi Kitano, prêt d'un ami d'origine... vietnamienne.

Pardonne-moi, Bernard: je n'ai que très moyennement apprécié. Pourtant, il paraît que le film est bien considéré. Il semble en fait qu'il ait pour personnage principal l'un des héros les plus populaires au Japon: Zatoichi, vieux masseur aveugle d'autant plus étonnant qu'il manie le sabre à la perfection. Un don bien utile, pour le coup ! Le scénario du long-métrage, que j'ai trouvé quelque peu alambiqué, oppose le vénérable monsieur à toute une série d'ennemis. Il est notamment question d'un adversaire mystérieux, capable de mettre sous sa coupe un village entier, ainsi que d'un samouraï sans maître devenu son associé. La bagarre devient alors d'autant plus inévitable que le représentant du bien n'a pas besoin de grands discours moralistes pour rendre la justice. Deux geishas font donc appel à lui et s'avèrent les seuls rescapés d'une famille entièrement massacrée. Attention, braves gens: il va très vite y avoir du sang sur les murs !

J'ai l'air un peu moqueur, non ? Takeshi Kitano ayant obtenu un Lion d'argent au Festival de Venise 2003 pour ce film, il est fort possible que quelque chose m'ait échappé. Je n'ai pas vraiment envie de "balancer" sans savoir. Je connais beaucoup trop mal le cinéma japonais pour ça. C'est juste que Zatoichi ne m'a pas fasciné. Je l'ai trouvé plutôt flou, pas toujours pourvu d'enjeux et un peu longuet par moments. Une question de culture et/ou d'habitudes, peut-être. En soi, à part les gerbes de sang un peu "carton-pâte", je n'ai rien vu de scandaleux sur le plan purement graphique. L'action étant censée se dérouler au 19ème siècle, j'ai même trouvé décors et costumes assez crédibles. Non, vraiment, c'est bien sur la question du rythme que j'ai eu du mal à accrocher. Ah ! Il y a aussi un certain type d'humour qui m'a laissé complètement dubitatif. Mes lacunes expliquent peut-être que je n'ai pas perçu le film à sa juste valeur.

Zatoichi
Film japonais de Takeshi Kitano (2003)
Mon pote Philippe dit considérer le Japon comme un monde à part. Pas loin d'être d'accord au vu de ce film un peu bizarroïde, au moins selon mes goûts et références artistiques du moment. Je reste donc sur deux étoiles et demie, en attendant simplement de découvrir d'autres longs-métrages. Je ne cite aucun film de comparaison aujourd'hui, mais je n'ai pas l'intention de tourner le dos au cinéma nippon. Ma page "Cinéma du monde" peut sans délai vous orienter vers quelques pistes. D'autres chroniques arrivent pour la compléter.

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La parole est à la défense !
Les rédacteurs de "L'oeil sur l'écran", eux, ont vraiment aimé le film.

jeudi 11 octobre 2012

Flingues, alcool et petites pépées

J'ai vérifié, donc inutile de me le dire: je sais très bien que le titre de ma chronique ne reprend pas exactement celui du film de 1959. J'aurais aussi bien pu choisir Les indestructibles ou Les trois frères.

Vous voulez bien me passer ça ? Cool. Je vais donc vous parler aujourd'hui d'un long-métrage récent, retenu en sélection officielle lors du dernier Festival de Cannes: Des hommes sans loi. Notez tout de suite qu'il est reparti bredouille de la Croisette. Simple constat. Aurait-il mérité meilleur sort ? Pas sûr. Je ne pense pas avoir perdu mon temps devant cette grosse production hollywoodienne. Je dirais juste que j'ai déjà vu bien mieux, sans forcément remonter très loin.

Que je vous explique: Des hommes sans loi repose donc sur un trio de frangins, Howard, Jack et Forrest, de gauche à droite à l'image. Dans l'Amérique de la prohibition, les Bondurant s'adonnent gaiement au trafic d'alcool. Une activité lucrative sur laquelle la police locale ferme allégrement les yeux... à condition d'être arrosée au passage. Ça, c'est la situation au début du film. Et voilà qu'un beau jour débarque un gars de la ville, un super-flic, pas incorruptible pourtant, mais qui entend ramasser une part plus importante du butin. Refus des bootleggers, évidemment, et à partir de là, emmerdements XXL annoncés et bientôt effectifs. Je vous épargne les détails. J'aime autant le dire sans attendre: la photo du long-métrage est superbe. C'est vrai que je ne suis pas un grand spécialiste, mais la période dans laquelle s'inscrit le récit m'a semblé parfaitement reconstituée. Vrai amateur de films en costumes, sur ce point, je me suis régalé !

Malheureusement, outre les méthodes des autorités et l'acharnement des bandits, il y a autre chose de pourri au royaume de Virginie. Malgré des qualités certaines, Des hommes sans loi ne s'impose pas comme la géniale fresque qu'il aurait pu être. Tiré d'une histoire vraie, le film manque d'un petit quelque chose pour être une réussite totale. Ainsi, du côté des comédiennes, la sublime Jessica Chastain et la mignonne Mia Wasikowska m'ont-elles paru sous-exploitées. Personnellement, de Tom Hardy à Guy Pearce en passant également par Jason Clarke, j'ai trouvé les garçons plutôt bons, y compris d'ailleurs Shia LaBeouf, qui ne convainquait guère les critiques jusqu'alors. Ce qui m'a vraiment dérouté, c'est l'impression parfois que le scénario jouait sur plusieurs tableaux, avec des scènes étonnamment assez drôles et, tout à coup, des poussées de violence difficilement supportables. Le tord-boyaux est un tantinet frelaté.

Des hommes sans loi
Film américain de John Hillcoat (2012)
Je finis tout de même sur une bonne note, le spectacle visuel valant quand même l'argent investi - surtout que j'avais un billet tarif réduit ! Autre aspect positif à relever, j'ai enfin découvert le travail de John Hillcoat, dont j'ai lu - et on m'a dit - beaucoup de bien. Reste à enchaîner avec The proposition, western tourné dans son Australie natale, et La route, récit post-apocalyptique réputé d'une noirceur éprouvante. Ce qui promet, c'est que si j'en crois ce que certains affirment, j'ai en fait commencé par le moins bon. On en reparlera.

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Ce n'est rien de le dire...
Pascale, de "Sur la route du cinéma", est bien plus emballée que moi.

mardi 9 octobre 2012

Au pied des arbres

Jean-François Laguionie, épisode 4. Après vous avoir présenté deux de ses films et sa série de courts-métrages, je poursuis aujourd'hui mon exploration de la filmographie du maître de l'animation française avec Le château des singes. Le début m'a beaucoup plu. Le générique se déroule sur des esquisses de dessin, un narrateur nous racontant en voix off ce qu'est le monde que nous allons découvrir. Les primates y vivent désormais au sommet des arbres. D'après les anciens, une grande inondation a ravagé leurs terres autrefois et, depuis, il est devenu dangereux de descendre. Formule très classique: "On n'a jamais revu aucun de ceux qui étaient partis".

Je pense que vous pourriez le deviner: le récit s'appuie en priorité sur un jeune singe peu soucieux des superstitions. Il s'appelle Kom et, en effet, a envie d'aller voir ce qui se passe au pied des arbres. Bien qu'on veuille l'en dissuader, un saut manqué entre deux branches l'y entraîne finalement plus vite que prévu. Le château des singes développe alors un scénario assez classique. Son petit héros découvre qu'il est tout à fait possible de survivre sous la canopée. Rapidement, même s'il n'est pas très bien accueilli, il fait connaissance avec des créatures très similaires à lui et finit même par avoir des amis. Là-dessus, il est aussi question d'un complot destiné à renverser un roi, mais je vous passe les détails. J'ai trouvé parfois que le récit partait un peu dans tous les sens à la fois. Visiblement destiné à un public enfantin, le dessin animé m'a paru manquer d'un peu de cohésion. Bon, ce n'est pas très grave, cela dit.

Ce Laguionie m'a objectivement moins plu que les autres. L'animation elle-même n'est pas en cause. Sa relative fluidité reste tout à fait dans la norme de ce que j'ai pu voir - certaines séquences du tout début, quand la pluie tombe sur les arbres, m'ont enchanté. Qu'est-ce qui m'a manqué, alors ? Peut-être un peu de surprise. Globalement, oui, j'ai trouvé le scénario très convenu. Il n'y a guère que la disparition d'un personnage qui détonne: ce genre de rebond dramatique me semble plutôt rare dans le monde du dessin animé. Pour le reste, c'est vrai, j'attendais sans doute mieux. Le château des singes n'est pas un mauvais film, mais il manque de poésie. Aussitôt qu'il commence à dire des choses intéressantes sur les rêves d'un monde meilleur et la tolérance, c'est comme s'il voulait rester sur la réserve, de peur de perdre ses jeunes spectateurs. On a droit à quelques chansons et aux voix de célébrités comme Pierre Arditi, Michael Lonsdale, Nadia Farès ou Patrick Préjean. Je dois probablement être un peu trop "grand" pour profiter de ce spectacle...

Le château des singes
Film français de Jean-François Laguionie (1999)
Vous l'aurez compris: de tous les films de Jean-François Laguionie que je connais, c'est donc celui qui m'a le moins séduit. Il me reste encore à découvrir L'île de Black Mor pour boucler la collection. Rassurez-vous: pour l'heure, le bilan reste très honorable, en dépit même de la relative déception d'aujourd'hui. Je constate également que le style évolue de manière importante entre les longs-métrages et les époques - cette créativité est pour moi un point très positif. Attendons de voir la suite pour juger d'une oeuvre globale et pas seulement d'un simple extrait qui pourrait être un peu moins réussi...

samedi 6 octobre 2012

Le meilleur du vampire ?

Je crois ne pas me tromper si je dis que la série Twilight fut d'abord un succès de librairie avant de connaître de bons chiffres au cinéma. C'est toutefois en voyant une bande-annonce que je l'ai découverte. Je ne suis pas allé plus loin et ne pourrai donc pas donner mon avis. Départager groupies et détracteurs, je laisse ce soin à d'autres.

J'avais simplement envie de dire que le cinéma n'a pas attendu Kristen Stewart et Robert Pattinson pour s'inventer des personnages de vampires. Et c'est ainsi avec délectation que j'ai savouré dernièrement un vieux film de Werner Herzog: Nosferatu, fantôme de la nuit. C'est d'ailleurs le remake d'un Murnau datant... de 1922 !

Il y a du Monsieur Jourdain en moi. En effet, je connaissais déjà cette histoire sans le savoir. C'est celle du fameux comte Dracula. Avant le voyage vers les Carpates, Nosferatu, fantôme de la nuit s'intéresse à un jeune homme, Jonathan Harker. Clerc de notaire dans la petite ville (imaginaire) de Wismar, il est à ce titre chargé d'aller voir un lointain client pour lui proposer l'achat d'une maison. Confiant en sa réussite et pas superstitieux pour un sou, il quitte donc Lucy, son épouse, promettant de revenir vite et n'écoutant pas les sombres pressentiments dont elle lui fait part. Il est trop tard pour reculer: le voilà déjà à cheval à destination de la Transylvanie...

Nosferatu, fantôme de la nuit m'a beaucoup plu. C'est un film d'ambiance, au rythme de fait assez lent, mais dont les images m'ont vraiment séduit. C'est un peu comme si j'avais ouvert un vieux livre poussiéreux d'histoires à faire peur. On est certes loin des frissons que peut procurer aujourd'hui le cinéma de genre, mais j'admets volontiers et sans fausse honte que, sur moi, le charme opère parfaitement. Werner Herzog a quand même le chic pour "imposer" un récit crédible à partir de l'imaginaire pur. Il s'appuie une fois encore sur l'incroyable gueule de Klaus Kinski, mais aussi sur un duo improbable, Isabelle Adjani / Bruno Ganz. J'ai été happé dès la scène de générique et ses momies naturelles de victimes du choléra. Ajoutez-y la musique envoûtante de Popol Vuh: me voilà prisonnier ! Sincèrement, c'est une belle découverte que ce film-là, pourtant pas le plus connu de la carrière de son auteur. Les goûts et couleurs...

Nosferatu, fantôme de la nuit
Film allemand de Werner Herzog (1979)
Bon, avec tout ça, je reverrais bien le Dracula de Coppola, moi ! Découvert au cinéma, en 1993, donc, je n'en garde aucun souvenir particulier, bon ou mauvais. Mon profond intérêt pour les oeuvres originelles devrait bien également m'amener à voir le Nosferatu primitif de Murnau. Avant cela et tous les autres films de vampires, il est possible que je privilégie la lecture du livre de Bram Stoker. Tout en vous invitant à me soumettre d'autres idées cinéma...

vendredi 5 octobre 2012

James, hier et demain

En avez-vous déjà entendu parler ? Je n'en serais pas surpris. Publiant mes chroniques à midi pile, j'ai toute une matinée de retard pour évoquer le petit événement du jour: les 50 ans de James Bond au cinéma. C'est en effet le 5 octobre 1962 qu'une salle londonienne avait projeté en avant-première le début de la série - James Bond contre Dr. No. Un film qui aurait coûté 190.000 francs de l'époque. Malgré l'antériorité littéraire de Ian Fleming, il n'est pas vraiment sûr qu'à ce compte-là, beaucoup aient parié sur 22 autres épisodes...

J'imagine que je n'apprendrai rien à personne: Sean Connery restera éternellement comme le premier des James Bond de cinéma. L'acteur avait tout juste 32 ans au moment d'embrasser la carrière. Il avait aussi quelques premiers films derrière lui, mais ne fut pas crédité pour le tout premier, sorti en 1954 avec Errol Flynn dans le rôle principal. Jusqu'en 1983, il se rattrapa avec 007, dans six films officiels et un dernier "hors-série" (le fameux Jamais plus jamais). Tout nouvel interprète semble désormais devoir lui être comparé.

Depuis 2006, c'est Daniel Craig qui a repris le flambeau. Un choix contesté avec virulence, au départ, le comédien étant alors affublé du sobriquet "James Blonde". S'il a pu me sembler que la franchise s’essoufflait un peu, malgré un ton beaucoup plus violent, je dois admettre que tout ça semble relever de l'histoire ancienne. Il y aura donc d'autres aventures du célèbre espion au service de Sa Majesté. Skyfall - le prochain épisode - débarque même sur les écrans français dans trois semaines exactement, le 26 octobre. Il a été annoncé récemment que Daniel Craig devrait ensuite rempiler et aurait signé un contrat pour deux autres films (au moins). À suivre très bientôt...

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Une petite précision dont je ne suis pas fier...

Bien des mois après avoir écrit cette chronique, le 6 août 2013 précisément, j'ai soudain réalisé que Sean Connery n'avait pas tourné dans cinq films officiels de la franchise James Bond, mais bien... six ! J'ai donc fait la modification. Et j'ai appris également que l'apparition inaugurale de James Bond à l'écran est à mettre au crédit de la télé ! C'était en 1954 ! Avec, pour jouer l'espion, l'Américain Barry Nelson.

mardi 2 octobre 2012

Le chemin de l'abîme

Au moment où cette chronique sera publiée, plus de trois semaines auront passé depuis ma découverte d'À perdre la raison. J'ai choisi d'écrire à chaud, à peine un peu plus de trois heures après être sorti du cinéma. Juste le temps de reprendre un peu de mon souffle. Aussitôt, et même d'ailleurs au cours de la projection, mes pensées se sont tournées vers les protagonistes de cette histoire. Je crois que la précision s'impose: oeuvre de fiction revendiquée comme telle par son auteur, le film ne s'en inspire pas moins de faits réels. L'explication, peut-être, de ma première sensation de malaise.

Faut-il ici que je revienne sur cette histoire originelle ? Pas sûr. Notez toutefois qu'être au fait de ce qui s'est vraiment passé peut éventuellement aider à encaisser le choc que le long-métrage provoque. Ceux d'entre vous qui veulent être fixés pourront toujours faire une recherche Internet sur le nom de Geneviève Lhermitte. Quant aux autres, ceux qui préfèrent partir sans a priori, ils noteront simplement que le film nous plonge au coeur de l'intimité d'un couple amoureux. Muriel et Mounir se marient rapidement, se voient offrir un beau voyage de noces, ont un premier enfant... ils sont heureux. Seulement voilà, les tourtereaux, aveuglés par la passion, négligent ce qui semble n'être qu'un détail dans leur histoire parfaite: ils vivent presque aux crochets du docteur Pinget, le père adoptif de Mounir. Muriel accepte même de cohabiter avec lui, heureuse que son mari puisse travailler avec le médecin et, au moins quelque temps, à l'aise sous le même toit. À perdre la raison: le simple titre du film suffit probablement à comprendre que tout ne peut pas être aussi simple.

Et, de fait, petit à petit, la situation bascule. Se sentant à l'étroit dans leur prison dorée, les amoureux voient leur idylle s'étioler progressivement. De parent idéal, leur bienfaiteur devient le symbole de leur échec, l'intrus dans une maison qui est pourtant la sienne. Pour épicentre de ce triangle dévastateur, Joachim Lafosse a choisi Muriel. S'il continue de filmer Mounir et le docteur Pinget, il le fait assurément de plus en plus dans leur relation avec la jeune femme. D'un point de vue purement "esthétique", j'ai d'ailleurs cru remarquer qu’Émilie Dequenne était seule à porter les stigmates de la manière dont son personnage évolue. Niels Arestrup change peu et n'a besoin de presque rien pour incarner toute l'ambiguïté du bon samaritain. Quant à Tahar Rahim, ses regards perdus dans la vague et sa mise impeccable imposent ce grand garçon, devenu père mais pas homme. Avec presque toujours une partie du cadre obstruée et des plans régulièrement incomplets, À perdre la raison est un film étouffant. Même connue à l'avance, sa conclusion, elle, achève de glacer le sang.

À perdre la raison
Film belge de Joachim Lafosse (2012)
J'ai mis deux étoiles et demie parce que j'ai du mal à me décider. J'éprouve encore une drôle d'impression en me disant que tout part d'une vraie histoire. Je ne crois pas qu'on puisse aimer pareil film. Deux quasi-certitudes, toutefois. 1) Émilie Dequenne est prodigieuse d'intensité et n'a sûrement pas volé le Prix d'interprétation qu'elle a obtenu à Cannes, en section Un certain regard. 2) Plutôt discutable sur le fond, le film reste bien meilleur qu'un autre long-métrage récent sorti des pages faits divers, le Possessions d’Éric Guirado.

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Parce qu'un tel film peut difficilement laisser indifférent...
Je ne saurais trop vous recommander de lire également l'avis ambivalent de Pascale ("Sur la route du cinéma"). Preuve qu'on peut admirer le travail de trois comédiens sans aimer pour autant le film dans lequel ils s'expriment. C'est, je crois, un constat important.