mardi 31 janvier 2012

Mission débrouillardise

Une chronique de Martin

J'assume. C'est parce que j'avais décidé de commencer l'année totalement détendu que j'ai choisi d'entraîner mes parents pour aller voir Hollywoo (sans le D - le film explique d'ailleurs pourquoi). J'aime assez Jamel Debbouze pour apprécier ses pitreries, même s'il est sans doute vrai qu'il serait encore meilleur s'il élargissait son registre comique. Quant à Florence Foresti, je la connais à vrai dire fort mal, mais elle ne m'est pas foncièrement antipathique. Je me reconnais même dans l'un de ses sketchs, celui où elle repousse sans cesse l'heure de sonnerie de son réveil, vu qu'elle est "large". C'est tout moi.

Restait donc à évaluer la capacité des deux comédiens à jouer ensemble. Autant le dire: c'est sans surprise, mais pas vraiment raté. J'entends d'ici les habituels rabat-joies qui ne jugent le cinéma qu'à l'aune de son inventivité formelle. Je le répète donc d'emblée: Hollywoo ne sort guère des sentiers battus et, à l'heure où j'écris cette chronique, ses scénaristes sont même accusés de plagiat ! L'idée de départ, je la trouve plutôt sympa: une jeune femme travaille dans l'univers de la production audiovisuelle, doubleuse d'une grande star américaine. Elle reste littéralement sans voix quand ladite vedette décide, après une rupture, de mettre un terme définitif à sa carrière à l'écran. Jeanne décide donc de traverser l'Atlantique pour remonter illico le moral à sa consoeur en mal d'amour et, du coup, l'inciter à rejoindre le chemin des studios...

Bien entendu, le moteur comique du film repose quasi-exclusivement sur l'abattage du duo Debbouze-Foresti. Leur langage mélange allégrement le français et l'américain, à grand renfort de mots inventés ou mal compris. C'est LA trouvaille du film, exploitée jusqu'à la corde, c'est vrai. La Californie vue d'ici, c'est à la fois l'Eldorado des acteurs, la destination qui fait rêver les touristes cinéphiles et la terre d'asile des gansta rappeurs "made in USA". Avalanche de clichés ? Peut-être bien. Hollywoo ne brille pas spécialement par son imprévisibilité. Si j'ai quand même trouvé le moyen de louper le début de ma première séance de l'année, je sais très bien que j'ai vu arriver la fin... dès les premières images, juste en lisant la petite présentation du film. L'important dans ces cas-là reste que l'histoire ménage quelques rebondissements. Il y en a. Assez pour rire, trop peu pour faire du film un nouveau classique. Tant pis: ce n'est pas ce que j'attendais de lui, de toute façon.

Hollywoo
Film français de Frédéric Berthe et Pascal Serieis (2011)
Souvenez-vous: il y a deux ans, le premier des deux réalisateurs signait RTT, autre comédie peu appréciée à sa sortie, à vrai dire assez simpliste, mais pourtant pas tout à fait détestable. J'admets volontiers une certaine indulgence à l'égard de ces petits films. Ponctuellement, entre deux oeuvres plus exigeantes, j'en regarde un pour me "nettoyer le cerveau". Si c'est pour vous inutile, vous êtes libre d'aller voir ailleurs (si j'y suis ?). Ou de revoir Intouchables...

samedi 28 janvier 2012

Mon best of 2011 (cinéma)

Une chronique de Martin

Pour les raisons inverses à celles que j'ai avancées jeudi, présenter ce second classement des films vus en 2011 devrait m'être plus aisé. La seule décision purement arbitraire, c'est de ne pas attendre quelques jours encore pour se garder la possibilité d'intégrer quelques autres films sortis l'année dernière et que je n'aurais pas pu voir avant ce mois de janvier. Sinon, c'est très clair: voici les douze que j'ai préférés parmi les 53 que j'ai découverts en salles l'an passé.

1. The tree of life / Terrence Malick
Oui, je fais partie de ceux qui placent la Palme d'or 2011 au sommet. Pour la toute première fois, je crois, j'ai été sensible à des images que je ne comprenais pas toujours. On pourra certes venir me dire que le film n'invente pas grand-chose, qu'il promeut une bondieuserie discutable et que le réalisateur a méprisé ses stars. Je pense presque le contraire et suis sûr que la photo, magnifique, a su m'apporter nombre d'émotions. Un cinéma différent, expérimental peut-être, mais que j'ai appris à aimer. Je dis donc: vivement la prochaine fois !

2. Melancholia / Lars von Trier
Cannes, épisode 2. Il est vrai que le réalisateur danois aurait mieux fait de se taire plutôt que de choisir la Croisette pour raconter n'importe quoi quant à sa compréhension du nazisme. Il n'empêche que son film m'a ébloui par sa beauté formelle et son pessimisme glacé. On connaissait les névroses du cinéaste, on redécouvre qu'elles s'appuient sur une profonde misanthropie. LVT est sans doute la première victime de ses humeurs changeantes et, même s'il juge son oeuvre imparfaite, le souvenir de son dernier plan me scotche toujours au fauteuil. La fin du monde ? Elle est peut-être déjà passée.

3. The artist / Michel Hazanavicius
Cannes encore ! Je ne saurais dire si Jean Dujardin est bien l'acteur qui méritait le plus le Prix d'interprétation masculine cette année. Seule certitude: j'ai aimé ce film hors du temps, son noir et blanc lumineux et ses dialogues muets. Le comédien n'y est pas pour rien, lui qui m'a complètement fait changer d'avis sur ses (grands) talents. J'écarte toutefois les parallèles fallacieuses avec le cinéma d'autrefois: c'est un long-métrage d'aujourd'hui qui nous est proposé. Je pense qu'il faut aussi y lire un hommage, bien plus qu'une parodie. Pour moi, le découvrir fut donc un plaisir tout à fait... incomparable !

4. Blackthorn / Mateo Gil
Si on m'avait dit fin 2010 que j'apprécierai un bon vieux western courant 2011, je n'aurais pas imaginé y retrouver Butch Cassidy, l'un de mes héros mythiques au cinéma. Paul Newman nous a quittés, mais Sam Sheppard prend la relève pour l'ultime chevauchée. Tourné dans les magnifiques montagnes boliviennes par un cinéaste espagnol dont j'ignorais tout, ce nouveau classique a objectivement quelques défauts. Deux ou trois flashbacks l'obligent à ralentir l'allure. Qu'importe: même vieillissantes, les légendes de l'Ouest gardent la peau dure. Et face à l'ennemi, le coeur noir, aussi, parfois.

5. Black swan / Darren Aronofsky
Fidèle à sa réputation, le cinéaste américain a écrit un nouveau récit noir ébène. Après le monde du catch, c'est vers celui de la danse classique qu'il tourne cette fois sa caméra. Natalie Portman y quitte définitivement les oripeaux de la jolie fille pour être femme à part entière, névroses obsessionnelles comprises. Le rôle lui a valu l'Oscar, mais, au-delà, confirme l'intelligence de son parcours artistique. À ses côtés, les autres font mieux que jouer les utilités. Un conte cruel comme le septième art n'en montre pas si souvent.

6. Une séparation / Asghar Farhadi
Au départ, elle n'était pas dans le top. Après y avoir repensé, j'ai fini par me dire que ce serait dommage de ne pas citer cette oeuvre iranienne, intelligente et importante pour l'histoire du cinéma. Portée par un bouche à oreilles extrêmement favorable, elle a fini autour du million d'entrées en France, exploit pour un film si pointu. Ce récit d'une rupture dans la bourgeoisie de Téhéran dépasse largement le cap anecdotique de son point de départ. Au-delà même de ces deux êtres en crise, il nous donne à voir comment fonctionne toute une société. Signifiant et flippant, a fortiori vu que le pouvoir en place fait tout pour censurer ce genre de représentations.

7. We need to talk about Kevin / Lynne Ramsay
Au départ, il y a pour moi une envie de revoir Tilda Swinton, actrice que j'apprécie tout particulièrement. L'idée que le scénario pourrait m'intéresser émerge ensuite, sans s'imposer comme une évidence. Sur l'instant, j'ai même souvenir de m'être un peu forcé au moment d'aller au cinéma. Aucun regret après coup: en observant la manière dont une mère élève son enfant, futur criminel, je ne suis pas vraiment parvenu à trancher la question de sa responsabilité éventuelle. L'intérêt du film est là, dans cette difficulté à répondre aux interrogations qu'il pose. Il faut sûrement en parler, en effet.

8. This must be the place / Paolo Sorrentino
Une preuve parmi d'autres que les cinéastes italiens, même partis travailler avec les stars hollywoodiennes, ont encore de beaux restes. J'ai été assez touché par le personnage que compose ici Sean Penn, cette ex-rock star abîmée par la vie et qui espère pouvoir restaurer l'honneur de son père, ancien détenu des camps de la mort. L'aspect le plus remarquable de ce drôle de long-métrage, c'est certainement la jolie galerie de personnages qu'il donne à découvrir. J'ai l'impression que 2-3 outrances auraient pu être évitées, mais le côté attachant du héros rend l'ensemble assez doux et agréable à suivre. Un road-movie comme je ne crois pas en avoir vu beaucoup d'autres.

9. Rango / Gore Verbinski
Combien sont-ils, les artistes qui passent du monde de l'animation aux prises de vue réelles ? Et inversement ? Assez peu, j'imagine. Combien d'entre eux restent crédibles ? Encore moins ? Il faudrait regarder de plus près pour le savoir. Et d'ici là, on tient l'exemple d'un créateur apte à gérer la transition sans rien perdre de son talent ou de son imagination en cours de route. Il y avait déjà un moment que je n'avais pas vu un dessin animé aussi "neuf". Faut-il y voir également le signe de l'investissement de Johnny Depp dans le rôle du héros ? Probablement. Cela dit, même en VF, ce western décalé marche à pleins tubes, sûrement aussi parce qu'il multiplie les clins d'oeil au genre. Pas sérieux du tout, non, mais tout à fait jubilatoire !

10. Restless / Gus van Sant
Le dernier film d'un réalisateur que j'ai mis du temps à découvrir. J'ai trouvé son style très juste pour parler à la fois d'amour et de mort. Le long-métrage mêle les deux et parvient à ne jamais être larmoyant. Les deux acteurs - Mia Wasikowska et Henry Hopper - sont très sobres et donc exactement dans le bon ton. Ils parviennent à nous transporter en nous émouvant... ou le contraire. Pas gagné d'avance, mais ça donne envie d'explorer la filmographie du cinéaste. Avec l'intuition que la jeunesse fait partie de ces thèmes privilégiés.

11. Voir la mer / Patrice Leconte
Deux garçons, une fille, combien de possibilités, déjà ? Le film repose la question et y répond, sans tomber dans le graveleux. Chapeau ! La très longue expérience acquise par le réalisateur n'entrave pas le souffle de jeunesse qui traverse son oeuvre. C'est même presque l'inverse qui se produit: le choix d'une distribution peu ou pas expérimentée rend très agréable ce qui se passe à l'écran. Personnellement, même si elle semble parfois bien invraisemblable, je suis parfaitement rentré dans cette histoire de trio amoureux. L'idée est vieille comme le cinéma, mais très joliment développée. Un long-métrage lumineux qui s'achève sur de fort jolies promesses.

12. Super 8 / Jeffrey Jacob Abrams
Spontanément, en sortant de la salle de cinéma, je l'avais placé premier de mon top de l'année. Un classement flatteur qui devait tout à l'émotion et au plaisir nostalgique pris devant ces images. J'étais tout simplement retombé en enfance, heureux de pouvoir toujours compter sur Steven Spielberg, derrière la caméra ou, comme ici, à la tête de l'équipe de production. J'avais bien reconnu sa patte dans cette grosse machine, belle histoire de gosses débrouillards, cinéphiles et à la chasse à la créature extra-terrestre. Si le film a fini par descendre d'une bonne grosse dizaine de crans parmi mes préférences, c'est aussi qu'objectivement, il n'apporte qu'assez peu de choses à ce genre qu'il représente très dignement.

jeudi 26 janvier 2012

Mon best of 2011 (DVD-TV)

Une chronique de Martin

Pas évident, cette année, de respecter la tradition encore récente consistant à vous reparler brièvement des films qui m'ont le plus marqué. Sur le petit écran, en 2011, j'en ai vu 97, dont 78 inédits. J'ai toujours du mal à classer par "valeur", mais ma tâche se voit encore compliquée du fait que ces longs-métrages sont bien souvent d'origines, d'époques et de styles bien différents. Ce qui se trouve aujourd'hui distingué pourrait ne pas l'être autant dans le classement d'une année plus éblouissante. Le choix reste donc sujet à discussion.

1. Casablanca / Michael Curtiz (1943)
Un grand tout: aucun des aspects du film ne me déplait vraiment. Passionné et passionnant, le scénario de cette histoire d'amour éternel sur fond de résistance brille par son incontestable pertinence. La grâce des dialogues émeut toujours et les différents acteurs livrent une prestation remarquable, d'autant plus étonnante qu'ils ont longtemps tourné sans rien savoir du destin de leurs personnages. Hollywood ose, en pleine guerre, un cri pour la liberté. Play it, Sam !

2. Le parrain / Francis Ford Coppola (1972)
Grande fresque sur la mafia, cette oeuvre mythique se distingue particulièrement en plaçant la criminalité à hauteur d'homme, faisant des pires délinquants les membres d'une famille, avec une étude profonde sur l'appartenance à un clan et l'évolution des sentiments. La distribution est juste géniale, dominée par un Marlon Brando magistral et un Al Pacino glaçant. Je m'offrirai peut-être la suite cette année: j'ai presque hâte. Un cinéma de très haute volée.

3. Two lovers / James Gray (2008)
Cette année, le cinéma américain squatte donc mon podium. Difficile de ne pas apprécier le formidable travail accompli ici, que ce soit devant ou derrière la caméra. Le réalisateur new-yorkais nous offre une rude histoire d'amour à trois protagonistes, tous trois victimes de sentiments censés les épanouir, mais les plongeant finalement dans le désarroi. Les acteurs - Gwyneth Paltrow et Joaquin Phoenix, mais aussi Vinessa Shaw - nous embarquent dès la première image. Une merveille de scénario sublimée par une réalisation parfaite.

4. L'impasse / Brian de Palma (1993)
Encore un film de gangsters, mais quel film ! L'histoire elle-même surprend très agréablement: une fois n'est pas coutume, le scénario s'intéresse à un criminel repenti. On ne croit pas à la bonne volonté d'Al Pacino, d'abord, et on plaint son avocat - Sean Penn, épatant - de devoir jouer sur un vice de procédure pour le sortir de prison. Pourtant, le premier reste sincère, tandis que le second s'avère finalement une fripouille de la pire espèce. Le travail de réalisation fait le reste et, dans les pas de Carlito, embellit encore cette fresque moderne sur l'inéluctabilité du destin. Un vrai régal de film noir.

5. Cowboy / Benoît Mariage (2007)
Benoît Poelvoorde en journaliste désabusé, je ne pouvais qu'aimer. François Damiens en cameraman raté, j'ai encore plus apprécié. Revoir Gilbert Melki, Julie Depardieu et Olivier Gourmet - superbe dans son propre rôle et un très chouette numéro d'autodérision - m'a fait plaisir. Au-delà du talent de ses comédiens, ce film franco-belge s'illustre par sa pertinence sociale. Plus qu'une critique des médias dominants, il propose une histoire d'homme et parle de la difficulté de renoncer à ses idéaux. Une alternance de rires et d'émotions comme nos voisins francophones savent si bien les créer.

6. Tabou / Friedrich Wilhelm Murnau (1931)
Le plus vieux film que j'ai vu cette année n'était pas le moins beau. J'ai couru après quelque temps avant de le rattraper et j'ai été subjugué par cette histoire d'amour impossible entre deux jeunes Polynésiens. Malgré un tournage tendu, la caméra pose un regard bienveillant sur les premiers protagonistes de ce drame. L'émotion est d'autant plus saisissante que les images sont muettes. Je suis difficilement revenu de ce voyage, sur une thématique romantique classique et à la fois peu ordinaire. Du grand cinéma de dépaysement.

7. La vie et rien d'autre / Bertrand Tavernier (1989)
La critique a parlé d'un Philippe Noiret "monument". Il paraît même que la fille du comédien en a été traumatisée en lisant l'apostrophe sur les affiches, juste au-dessus du visage de son père. Il n'en reste pas moins qu'un grand film a ici été écrit et tourné. Sabine Azéma offre la possibilité d'un pas de deux touchant, d'une autre histoire d'amour compliquée. Une magnifique illustration des ravages inaltérables de la guerre, avec un général obstiné par la comptabilité des morts et une veuve en quête d'apaisement. La vie, en effet.

8. La garçonnière / Billy Wilder (1960)
Shirley MacLaine - Jack Lemmon: encore un couple glamour. Forcément, la recette fonctionne toujours, mais, comme souvent chez ce cinéaste, elle s'assaisonne avec un peu de nostalgie. Il fallait inventer ce personnage d'employé, disposé à prêter son appartement à ses patrons adultères pour s'élever dans les rangs de la société. Ensuite, il fallait aussi oser le rendre sensible et amoureux d'une fille elle-même en mal de respect et de tendresse. Rires et larmes discrètes, le dosage parfait d'une merveilleuse comédie romantique.

9. Out of Africa / Sydney Pollack (1985)
Décidément, l'année est aux couples ! La scène où Robert Redford lave les cheveux de Meryl Streep au coeur de la savane est restée culte. Avant de voir le film, je n'avais que très vaguement entendu parler de la romancière Karen Blixen. J'ai depuis acheté La ferme africaine, le livre qui a inspiré ce très beau film, une grande fresque qu'on dirait sortie des années 50. Hollywood est éternel et ses stars n'ont visiblement pas fini de nous faire rêver. Un récit qui évoque aussi, en filigrane, la marche du monde derrière le pas des amants.

10. Birdy / Alan Parker (1985)
Nicolas Cage incroyable et Matthew Modine traumatisé par la guerre du Vietnam: ce film très américain est tourné par un Anglais ! C'est peut-être ce qui lui donne cette couleur unique. Les images du conflit sont rares et frappent par leur violence graphique. Ce qui est le plus intéressant ici, ce n'est pas la dénonciation politique ou l'aspect spectaculaire de la chose. C'est davantage cette étude de la folie douce et ce formidable récit d'une amitié que rien ne peut affecter. Avec, à la toute dernière image, un revirement qui laisse la porte ouverte à l'imagination. Une émotion quasi-parfaite dans le genre.

11. La folle journée de Ferris Bueller / John Hugues (1986)
Le petit frère de Marty McFly ! Le personnage principal du film ressemble furieusement à l'ado que beaucoup ont rêvé d'être: il est cool, amoureux et hédoniste. Et, grâce notamment à un talent consommé pour la ruse, il se crée, un seul jour durant, la vie idéale qu'il aimerait vivre, faite de promenades en Ferrari, déjeuners pris dans les plus grands restaurants et engagements dans le pur délire libertaire. Générationnelle, l'aventure est aussi des plus enlevées. Avec, derrière la comédie débridée, le constat d'une jeunesse capable de grandes choses. De quoi mettre la banane ET la pêche !

12. Après la pluie / Takashi Koizumi (1999)
Changement d'ambiance radical avec ce film tourné sur un scénario d'Akira Kurosawa, après la mort du maître japonais. Quand on sait les trésors de persuasion que son réalisateur a déployés pour donner vie à ce long-métrage, on est ému de cet engagement au service même de la mémoire d'un des plus grands cinéastes de notre temps. On y retrouve ici beaucoup des valeurs traditionnelles du Japon ancien et la tempérance de ses habitants. Que le récit choisisse d'évoquer une page vieillie de l'histoire nippone n'empêche nullement de l'apprécier aujourd'hui. La vie d'un samouraï considérée au travers de ses principes et de son mode de vie, sans oublier la dimension poétique de ce personnage: une petite merveille venue d'Asie.

mardi 24 janvier 2012

Duel en Chine

Une chronique de Martin

Et un qui font 150 ! L'homme au pistolet d'or est le dernier des films que j'ai vus en 2011. Neuvième des aventures de James Bond, il met aux prises Roger Moore et Christopher Lee. Si le duel des mythes semble devoir tourner en faveur du second, c'est bien sûr le premier qui s'en tire le mieux au générique final. Point un peu plus étonnant dans l'histoire de la franchise: entre deux jolies filles, 007 n'a pas ici pour mission de sauver le monde, la menace pesant sur sa peau avant même d'inquiéter la couronne britannique. Un tueur à gages mégalomane le convie à une rencontre-duel sous le soleil de la Chine.

Les commandes du film, elles, sont confiées à un habitué, qui signe sa quatrième et derrière mise en scène du plus célèbre des espions anglais. Le résultat sent quelque peu la naphtaline. James Bond conserve son flegme et se sort toujours des situations fort délicates. Dans cette histoire, son charme se teinte d'une coloration particulière, puisque le ton général des dialogues contient même quelques allusions... racistes et misogynes ! L'homme au pistolet d'or manque d'équilibre, certaines scènes semblant durer des heures quand d'autres sont expédiées en deux coups de revolver. J'ai tenu jusqu'au bout, mais ça n'a pas toujours été des plus évidents...

Le personnage le plus loufoque dans tout ça reste sans aucun doute l'associé du méchant, joué par le Français Hervé Villechaize. Comédien de très petite taille, l'intéressé est ici affublé d'une tare supplémentaire: la VF lui a collé la voix habituelle de Bugs Bunny ! Difficile dans ces conditions de prendre au sérieux une production dont les quelques scènes de cascade sont tout aussi rocambolesques que celles d'une quelconque série Z télévisée. L'homme au pistolet d'or conserve toutefois quelques qualités et notamment celle consistant à reprendre à son compte les standards des films d'action de l'époque, à l'image d'une truculente scène de kung-fu. Sorti l'année de ma naissance, le film m'a bien plu pour cet aspect-là. Il est clair cela dit que j'ai déjà vu beaucoup mieux dans le même registre.

L'homme au pistolet d'or
Film britannique de Guy Hamilton (1974)
S'il survit jusqu'en septembre, le réalisateur devrait pouvoir célébrer ses 90 ans cette année. Les connaisseurs noteront qu'il a donc tourné trois autres James Bond: Goldfinger en 1964, puis Les diamants sont éternels en 1971 et Vivre et laisser mourir en 1973. Désolé pour les inconditionnels: aucun de ces épisodes ne fait encore l'objet d'une chronique ici. Je vous laisse vous rabattre sur les opus récents que j'ai déjà eu à présenter: Le monde ne suffit pas tout d'abord, avant Casino Royale et Quantum of solace. En attendant la suite ?

dimanche 22 janvier 2012

Bean sauve la reine

Une chronique de Martin

C'est Valérie, collègue de travail, qui m'a briefé: Rowan Atkinson a fait ses débuts cinéma dans un James Bond. Incroyable mais vrai ! Mister Bean ne s'est pas fait en un jour ! Il a même gardé un intérêt pour les histoires d'espionnage, puisqu'il a aussi accepté de prêter ses traits à Johnny English, le héros éponyme d'un duo de films 100% barrés. Remarquez, je dis ça, je n'ai pas vu la suite, sortie récemment. Je me suis contenté d'apprécier le premier opus dernièrement, après l'un des repas raisonnables de ma fin d'année. Nourriture spirituelle, vous dites ? Faut pas déconner non plus...

En quelques mots, Johnny English, c'est donc l'histoire d'un espion, chargé par le gouvernement britannique de retrouver les joyaux volés de sa Gracieuse Majesté. L'auteur de ce crime abominable n'est autre que Pascal Sauvage, un Français ambitieux qui veut usurper le trône et transformer la Grande-Bretagne en centre pénitentiaire XXL. N'importe quoi, vous dites ? Je vous avais prévenus. Ce scénario taré est plus que parodique: il tient plutôt de la grosse pantalonnade. Autant dire que c'est à prendre ou à laisser: difficile d'apprécier vraiment le résultat quand on aime l'humour anglais en mode subtil.

Au tout premier degré, en revanche, ça passe encore largement. Con patriote, Rowan Atkinson en fait des caisses, mais le rôle l'exige. Dans la peau du méchant, John Malkovich - aux cheveux longs - vaut le détour: le comédien nous offre l'une de ces compositions loufoques dont il a le secret. Il fallait aussi une jolie fille pour pimenter le duel franco-britannique: la prod' a déniché la chanteuse australienne Natalie Imbruglia, qui doit sans doute son rôle à sa plastique - je dis ça parce qu'elle s'en sort plutôt bien, mais n'a plus tourné depuis. Johnny English se distingue surtout par son rythme et ses gags audacieux sur la couronne, n'hésitant pas à se gausser (gentiment) des notables d'outre-Manche. Du James Bond, oui, mais sous acide !

Johnny English
Film britannique de John Howitt (2003)
Je ne crois pas qu'il y ait d'autre peuple en Europe capable de moquer pareillement ses plus hauts dirigeants. Rendez-vous compte: la reine Elisabeth elle-même apparaît (de dos) dans la bouffonnerie du jour. Moi qui regarde parfois la perfide Albion de travers reste admiratif devant ce sens de l'humour particulièrement développé et jubilatoire. Faute de vous avoir déjà parlé de ma comédie-culte, Un poisson nommé Wanda, je vous oriente aujourd'hui vers un autre extrait décalé de ce cinéma "so british": Joyeuses funérailles, récit échevelé... d'un enterrement raté. Ouais, ils sont fous, ces Anglais !

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Ils en ont parlé aussi...
Oui, comme vous le verrez, les deux rédacteurs de "L'oeil sur l'écran" ont aussi donné leur avis sur le film. Avec moins d'enthousiasme.

jeudi 19 janvier 2012

Le goût de l'autre

Une chronique de Martin

Nathalie semble être une jeune femme à qui tout réussit. Elle vient juste de trouver un travail intéressant et son compagnon la demande en mariage. Très amoureux, le petit couple se retrouve régulièrement autour d'un verre de jus d'abricot, au bar où il s'est rencontré. Ce bonheur n'est finalement qu'éphémère, puisque, parti faire un jogging, François est renversé par une voiture et meurt après quelques jours de coma. Ainsi commence La délicatesse, film du duo de frères Stéphane et David Foenkinos, adapté du roman éponyme du second. Le choix de ma dernière séance cinéma 2011.

Plus qu'au drame, La délicatesse s'intéresse à ses conséquences. L'intrigue tient en un mot: jeune veuve, Nathalie a-t-elle de nouveau droit au bonheur ? Elle paraît d'abord se l'interdire quand il apparaît par l'entremise de parents aimants ou d'une copine devenue maman. Il est laissé à l'écart quand l'éplorée s'absorbe dans le travail, oubliant les à-côtés et n'en sortant inopinément qu'après avoir pu surprendre les propos d'une de ses collègues sur son comportement au bureau. Mais le véritable élément déclencheur, ce sera l'arrivée improbable de Markus, grand Suédois ahuri, qu'elle embrassera avec passion après l'une de leurs premières rencontres. Et au bureau, toujours.

La délicatesse est un petit film qui porte bien son nom. Il montre avec beaucoup d'à-propos et de douceur qu'en dépit des efforts répétés des uns et des autres, il n'est pas si facile de faire son deuil. Pour cela, il bénéficie d'une réalisation remarquable, dans la manière dont elle compose les cadres ou habille ses personnages, notamment. Le long-métrage brille de ses deux acteurs principaux: Audrey Tautou est bien dans la peau de cette femme fragile et François Damiens impeccable dans celle de l'amoureux transi, inquiet de ses sentiments et en peine pour les exprimer. Autour d'eux, d'autres visages connus qu'il est agréable de retrouver, à l'image entre autres de Pio Marmaï, Bruno Todeschini, Ariane Ascaride ou Christophe Malavoy. Le tout est porté par une B.O. exemplaire d'efficacité, signée Émilie Simon.

La délicatesse
Film français de Stéphane et David Foenkinos (2011)
Les frangins ont bien travaillé. Comédie romantique aux accents pudiques de drame intime, leur premier long-métrage est une perle de douceur et laisse espérer qu'il y en aura d'autres. Il m'a rappelé des situations, sinon vécues, du moins connues. Il me semble bien qu'au cinéma, le deuil n'est que rarement abordé sous cet angle-là. Qu'il puisse être, sans gnan-gnan, le moteur d'une comédie romantique porte en soi un beau message de vie et d'espoir. Jusqu'alors, mon film de référence sur la mort d'un proche demeurait La chambre du fils, saisissante Palme d'or du Festival de Cannes 2001. Il est donc possible d'apercevoir un horizon plus dégagé...

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Pour un autre jugement sur le film...

Je vous renvoie une fois encore au blog "Sur la route du cinéma".

mardi 17 janvier 2012

Seuls et dépendants

Une chronique de Martin

Le destin a décidé pour moi. Même si j'ai tourné un bon moment autour du pot, j'ai fini par voir Shame fin décembre. Après des mois d'affaire DSK, je craignais de ne pas franchement apprécier ce film dont le héros souffre d'une addiction au sexe. Le long-métrage m'intéressait pourtant comme deuxième oeuvre du cinéaste britannique Steve McQueen, et pour son acteur, Michael Fassbender. J'avais déjà apprécié ces artistes en duo par le passé - j'y reviendrai.

Parti pour une autre séance, je me suis rabattu sur ce second choix, la salle que je visais étant comble quand je suis arrivé au cinéma.

Pas de regret. Autant le dire tout de suite: Shame est un film réfléchi et très bien réalisé. Son histoire est celle de Brandon, trentenaire new-yorkais, employé efficace d'une société lambda. Sans que cela saute aux yeux de son entourage professionnel, l'homme a donc un sérieux problème avec le sexe: il enchaîne aventures sans lendemain, relations tarifées, visionnages de films porno et séances de masturbation frénétiques. Ce grand solitaire voit sa vie chahutée quand sa soeur débarque chez lui et s'y installe pour quelque temps à la suite de ce qui semble être une rupture amoureuse. Pas de quoi réchauffer l'ambiance. Sissy est un météore et la collision avec son frère s'annonce dévastatrice. Loin d'idéaliser ses personnages, le scénario nous les montre tels qu'ils sont: crus, malades, dépressifs, perdus. Et c'est tout sauf une partie de plaisir.

Shame met une bonne claque. Steve McQueen reste à distance raisonnable de son sujet. C'est, à mes yeux, très bien ainsi. Le ton qu'il emploie n'est ni moralisateur, ni consolateur. Il expose ici plusieurs situations de solitude et de dépendance, mais sans porter de jugement. L'empathie que l'on peut ressentir pour Brandon devient un sentiment plus complexe à mesure que Sissy vient s'installer sur le devant de la scène et y prend de l'importance. L'aspect le plus réussi du film, c'est sans doute qu'il reste silencieux sur une grande partie des origines de ces deux êtres et de ce qui a fait d'eux ce qu'ils sont. Le long-métrage entrouvre quelques portes et laisse le spectateur libre de la manière de les pousser complètement: jusqu'au plan final, tout reste vraiment interprétable de différentes façons. C'est ce que j'appelle du cinéma intelligent.

Shame
Film britannique de Steve McQueen (2011)
McQueen-Fassbender: le septième art leur devait déjà un autre film coup-de-poing, Hunger, Caméra d'or au Festival de Cannes 2008. L'intelligence du propos relie les deux longs-métrages et fait donc déjà de leur créateur un cinéaste à suivre. Autre caractéristique commune, une maîtrise formelle indubitable, sans doute favorisée par l'autre profession du réalisateur: celle d'artiste plasticien. J'attends avec impatience une troisième proposition. Et si les acteurs restent les mêmes, avec donc aussi Carey Mulligan, je ne pense pas que je m'en plaindrais. L'Académie des Oscars m'entendra-t-elle ?

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Pour un autre avis sur le film...

Je vous recommande la lecture de "Sur la route du cinéma".

dimanche 15 janvier 2012

Ce gugusse, un espion ?

Une chronique de Martin

Je le savais déjà de par mon expérience de la presse écrite: illustrer un texte quelconque n'est pas toujours évident. J'ai ainsi eu du mal au moment de choisir deux images pour appuyer mon propos d'aujourd'hui. Faute de pouvoir garantir le respect de mon format habituel et l'exhaustivité de mon approche picturale, j'ai fait un choix subjectif parmi quelques autres possibilités. Si la chose m'a semblé plus difficile qu'à d'autres occasions, c'est qu'il y a beaucoup d'acteurs que j'aime énormément dans le fameux diptyque Le grand blond avec une chaussure noire / Le retour du grand blond, classique comique des années 70 dont j'ai choisi de vous parler ce dimanche.

Ce n'est pas un scoop : Pierre Richard est effectivement le héros malgré lui de cette rocambolesque aventure en deux temps. Le point de départ: une vague histoire de jalousie entre pontes des services de renseignements français et la volonté de Toulouse, le grand chef, de tendre un piège à Milan, son ambitieux et dangereux subordonné. Côté comédiens, ça donne Jean Rochefort qui veut couper l'herbe sous le pied de Bernard Blier. Et le grand blond, dans tout ça ? Aussitôt entré en scène, il sera, à son corps défendant, l'instrument du règlement de comptes entre espions. Lui qui n'est personne d'autre que François Perrin, violoniste international, va être présenté comme un agent "double zéro" de haut niveau. Pas sûr que tous ceux qui n'ont pas vu les films comprennent bien de quoi ils retournent exactement. Je leur dirais alors: raison de plus pour vous rattraper !

En ce qui me concerne, si j'ai choisi d'évoquer dans un texte unique Le grand blond avec une chaussure noire et sa suite sortie seulement deux ans plus tard, Le retour du grand blond, c'est bien parce que l'intrigue s'enchaîne de l'un à l'autre sans coupure. J'épargne votre bonheur possible et préfère rester muet sur le nom des quelques autres grands comédiens que vous aurez probablement le plaisir d'admirer ici. Il est clair qu'on ne fait plus guère de comédie aussi enlevée de nos jours: les différentes touches d'humour s'apprécient au tout premier degré, après avoir écarté toute attente de vraisemblance. Bien moins compliqué que ce que j'ai peut-être suggéré, le scénario, lui, est bien ficelé et riche en rebondissements. Quant à l'aspect vintage et burlesque de la production, il lui apporte un charme indéfinissable. Mon affection pour les acteurs m'a fait penser que certains présents au générique ne sont plus aujourd'hui de ce monde. The show must go on ! Je me suis alors aussitôt réjoui d'en savoir d'autres encore bien vivants et, de toute manière, grâce à leur si manifeste talent, promis à une petite dose d'immortalité !

Le grand blond avec une chaussure noire
Le retour du grand blond
Films français d'Yves Robert (1972 - 1974)
Le premier est sorti l'année du mariage de mes parents. Le second neuf jours seulement avant ma naissance ! Et vous voudriez me voir mettre un bémol au plaisir que je ressens devant ce cinéma-là ? Désolé, il faudra repasser un autre jour et encore, sans garantie d'être entendu. Allez, quoi ! Arrêtez un peu de vous prendre la tête ! Marrez-vous sans chercher plus loin ! Ou, si vous tenez sincèrement à avoir autre chose sous les yeux, choisissez une troisième oeuvre signée du même cinéaste. Alexandre le bienheureux, par exemple...

vendredi 13 janvier 2012

Leur solitude à (d)eux

Une chronique de Martin

Il vient juste d'avoir 48 ans et j'ai toujours autant de mal à suivre Nicolas Cage. La première fois que j'ai entendu parler de lui, je crois que c'était dans un article sur son oncle, Francis Ford Coppola. D'après mon souvenir, le tonton n'était pas tendre, lui qui est pourtant habitué à faire tourner une partie de sa famille. Bref. J'avoue quelque difficulté à me faire une idée précise, les choix artistiques de "Nick" étant très variés. J'ai eu il y a peu l'opportunité de le voir dans Leaving Las Vegas, un film qui lui a valu l'Oscar. L'histoire d'un homme seul, alcoolique, en route vers la ville du jeu.

L'avenir de cet homme apparaît très sombre, sans illusion possible. De son passé, le film ne dit pas grand-chose. Ben Sanderson est viré de son travail et quitte le peu d'attaches qu'il lui reste à Los Angeles. Seuls indices sur ce à quoi il tourne le dos: un mot rapide, en voix off, sur l'origine de son addiction et une photo de lui avec une femme et un enfant, qu'il brûle avant de partir. Arrivé à Las Vegas, l'homme solitaire rencontre une autre âme en peine, Sera, prostituée. Première rencontre et premier clash: Leaving Las Vegas semble d'abord revenir sur le terrain connu de l'amour plus fort que tout. J'éviterai de trop en dire, mais c'est un peu plus compliqué que ça. Ajoutons juste une considération technique: l'intrigue est soutenue par la bande originale, composée par le réalisateur lui-même, et, parfois, un travail original et intéressant sur l'atténuation du son.

L'originalité du long-métrage tient peut-être à ce qu'il est en fait tiré d'un récit de Jim O'Brien, en partie autobiographique et déjà publié sous le même titre. L'auteur se serait suicidé quinze jours seulement après avoir vendu les droits de son livre. Autant dès lors éviter Leaving Las Vegas si vous avez l'espoir d'y suivre le chemin tortueux d'une double rédemption. Le scénario oscille en fait constamment entre le pathétique et le mélodramatique. La lumière se fait rare. Quand elle est là, elle n'est souvent qu'artificielle, à l'image finalement des casinos illuminés d'une cité sans âme. Le contraste des situations humaines qui sont ici décrites est aussi celui du film lui-même: le rêve s'efface vite devant la réalité. Nicolas Cage s'avère capable de porter une émotion forte et, en interview, soulignait volontiers que c'est sa partenaire qui l'a porté à ce niveau d'interprétation. Je finirai moi aussi en soulignant qu'Elisabeth Shue est effectivement pour beaucoup dans la beauté de cette histoire. Plus que sur des talents individuels, tout repose sur celui d'un duo.

Leaving Las Vegas
Film américain de Mike Figgis (1995)
L'un des aspects étonnants du long-métrage, c'est encore qu'il est explicite pour tout ce qui attrait non seulement aux conséquences d'un abus d'alcool, mais aussi quant au sexe et à la violence. J'ajoute que, sur ce tout dernier point, l'image en montre parfois un peu trop à mon goût, lors notamment d'une scène de flash-back sur les ennuis de Sera - inutile à la bonne compréhension du personnage. Pas facile maintenant de trouver un autre projet cinéma qui puisse être comparé à celui-là. High fidelity comporte lui aussi ses moments poignants, mais reste dans l'ensemble bien plus positif. Un passage dans une piscine m'a fait songer à Somewhere - dans un contexte différent. Et la déchéance du personnage principal rappelle un peu Que le spectacle commence. Mais silence, j'en ai déjà trop dit...

mercredi 11 janvier 2012

La planque flamande

Une chronique de Martin

Certains d'entre vous le savent déjà: je suis allé à Bruges l'été dernier. Sympa, comme escapade. C'est à la fois parce que j'avais entendu parler du film et parce que ça me plaisait de revoir la ville que j'ai regardé Bons baisers de Bruges. Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, même si l'affiche laissait penser à un polar un peu décalé - Colin Farrell portant un flingue dans une main et une glace dans l'autre. Les tueurs feraient-ils du tourisme, de nos jours ? Figurez-vous que oui ! Avec son pote Ken (Brendan Gleeson), Ray est même censé se faire oublier, parce qu'il a foiré son premier contrat.

Bons baisers de Bruges est un drôle de long-métrage. Pas si facile de tout comprendre dès les premiers plans. Les choses s'éclairent quelque peu quand le réalisateur lance un flash-black pour expliquer ce qui est exactement arrivé à Ray. Cela étant, Colin Farrell compose tout de même un drôle de bonhomme, ennuyé de devoir séjourner dans une ville qu'il n'apprécie guère. Il essaye dès lors d'en profiter pour mener la belle vie, ce qui présente l'avantage pour le spectateur de faire apparaître toute une galerie de personnages secondaires. Citons un acteur nain raciste (Jordan Prentice), une jolie fille dealeuse de drogue dure (Clémence Poésy), un skin assez pitoyable (Jérémie Rénier méconnaissable !) et un mafieux sans pitié apparente (Ralph Fiennes). Aréopage barré pour film bien curieux.

Vous dire si j'ai aimé le résultat ? Ma foi, je ne compte pas prétendre le contraire. Bons baisers de Bruges ne ressemble en rien aux films que j'avais pu voir jusque là, constatation qui joue à son avantage. Autre aspect positif: le film est bien joué, même si la ville-décor prend parfois des allures irréelles et tourne un peu au carton-pâte. Rien d'ennuyeux ou de rédhibitoire. L'intrigue que lance le scénario, première oeuvre de son auteur, rebondit suffisamment pour être imprévisible. Je suis presque sûr qu'au moment où le générique final démarrera, si vous n'êtes pas séduit, vous serez au moins surpris. Une certitude tout de même: il n'y aura pas de suite à l'aventure. Sans aller jusqu'à dire pourquoi, je vous le promets: c'est impossible. Peut-être aurez-vous juste envie de découvrir Bruges à votre tour...

Bons baisers de Bruges
Film britannique de Martin McDonagh (2008)
Bon, maintenant, quitte à vouloir goûter à une ambiance particulière dans un polar, je vous conseille plutôt de regarder Hanna, un film que j'avais moi-même plutôt apprécié l'année dernière. Je suis incapable d'évoquer d'autres longs-métrages du même cinéaste. L'escapade en Flandre est en effet la première de son auteur, côté cinéma en tout cas. Une précision toutefois: il vaut sûrement le coup d'essayer de le suivre. Connu comme dramaturge, Martin McDonagh a également signé un court-métrage, Six shooter, "oscarisé" en 2006.

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Pour d'autres avis sur le même film...

Deux solutions s'offrent à vous aujourd'hui: aller lire l'analyse publiée chez "Sur la route du cinéma" ou choisir celle de "L'oeil sur l'écran".

dimanche 8 janvier 2012

Jeu de massacre

Une chronique de Martin

Quatre acteurs peuvent suffire pour faire un film. Roman Polanski vient de le prouver avec Carnage, son dernier long-métrage. L'histoire est simple: après que, sans raison manifeste, leur fils a donné un coup de bâton à un autre enfant, Nancy et Alan Cowan visitent les parents de la victime, Penelope et Michael Longstreet. Conciliants, les deux couples rédigent ensemble un courrier destiné aux assurances. En dépit d'un petit hiatus sémantique, ils s'accordent sur l'essentiel et semblent prêts à la concorde retrouvée. Oui, mais...

Puisque le film s'appelle Carnage, vous imaginez bien que les choses vont s'avérer un tantinet plus compliquées. Pour sceller le processus de réconciliation des deux familles, une rencontre entre les gamins est envisagée. C'est à partir de cet instant que débute véritablement le jeu de massacre. Les deux couples expriment alors rapidement leurs différences de point de vue sur l'éducation. Bientôt, ils vont jusqu'à se disloquer eux-mêmes, ce qui fait alors apparaître non plus deux clans familiaux, mais bel et bien quatre individus. Les joutes verbales sont féroces, d'autant qu'elles sont très écrites, le film trouvant sa matière dans une pièce de théâtre de la dramaturge française Yasmina Reza. Avec juste ce qu'il faut de perversité misanthrope, Roman Polanski se fait chef d'orchestre du chaos. On a connu le cinéaste plus inspiré: il se contente ici d'un huis-clos classique à champs et contrechamps, avec un petit jeu sur la lumière pour matérialiser le temps qui passe. C'est toutefois assez efficace.

Bien plus que le chef d'oeuvre d'un homme de 78 ans, Carnage offre au regard quatre remarquables numéros d'acteur. Je commencerai avec les comédiennes. Du côté de la victime, Jodie Foster joue presque à contre-emploi ce rôle de femme psychorigide dissimulée derrière une générosité de façade. C'est sûrement elle qui met le feu aux poudres en réclamant pour son fils une demande de pardon immédiate et sincère. Kate Winslet, la mère du sauvageon, avance son intention de tout faire pour la lui obtenir: elle fait finalement l'exact chemin inverse, passant d'une empathie affectée aux ravages d'un égocentrisme larvé. De fait, les hommes ne valent pas mieux. Père du cogneur et avocat cynique, Christoph Waltz croit intelligent de raviver les tensions, sautant d'un camp à l'autre sans daigner aborder le fond du problème. Quant à John C. Reilly, gros nounours réconciliateur adepte des valeurs apaisantes du clafoutis, il préfère finalement siroter son whisky 18 ans d'âge plutôt que de renoncer enfin à sa personnalité mesquine. Tous défoncent à coeur joie le peu d'harmonie possible. Hystérique et débridée, leur interprétation collective hisse ce petit film au rang d'oeuvre d'un intérêt certain.

Carnage
Film français de Roman Polanski (2011)
Pour compléter les nationalités du long-métrage, j'aurais pu préciser que ses producteurs sont aussi polonais, allemands et espagnols. Autre caractéristique: la durée de la projection, qui ne dépasse pas l'heure et demie. Ce format a permis au réalisateur de se concentrer sur l'essentiel, au détriment de la conclusion, que j'ai personnellement trouvée un peu bâclée ou "queue de poisson". Roman Polanski peut mieux faire, c'est évident. Il l'avait rappelé dans son dernier film, The ghost writer, déjà commenté ici. J'aimerais maintenant me retourner sur ses oeuvres plus anciennes pour compléter le tableau. Je ne sais pas quand, mais il est certain que je reparlerai de sa Palme d'or pour Le piansite, du grand polar qu'est Frantic ou des frissons de Rosemary's baby. Entre autres.

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Pour un autre avis sur le film...

Je vous conseille de lire "Sur la route du cinéma".