jeudi 21 octobre 2010

Le vieil homme et la mort

Et si on oubliait un instant la Palme d'or décrochée au mois de mai dernier par Apichatpong Weerasethakul ? Je me dois d'être honnête avec vous: il est vrai que je ne suis pas sûr que je serais allé voir Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures spontanément, s'il n'avait pas été primé sur la Croisette. Aurait-il simplement trouvé un distributeur ? Apparemment, ça n'a pas été une partie de plaisir ! Maintenant, ce que je voudrais et vais essayer de faire, c'est considérer ce long-métrage sans le juger, à l'aune seule de ce que je crois pouvoir attendre d'une oeuvre récompensée à Cannes. C'est une petite colère qui m'anime aujourd'hui: j'ai été très dépité de voir une partie de mes confrères "casser" tout net cette proposition de cinéma au motif qu'elle serait prétentieuse, incompréhensible, ennuyeuse, inesthétique même, ou tout à la fois ! Palme de plomb pour certains, film parmi les plus mauvais de l'année pour d'autres, rien n'a été épargné à cette création venue initialement de Thaïlande. Pour ma part, écoutant mon instinct, j'ai malgré tout décidé de lui donner sa chance, ne serait-ce justement parce que ce n'est pas tous les jours qu'une telle inspiration débarque sur nos écrans. Et, pour en revenir à la polémique qui l'entoure, j'ai trop de respect pour l'aréopage d'artistes réunis autour de Tim Burton au printemps dernier pour penser qu'ils ont choisi de couronner indûment une vague boursouflure à vocation cinématographique. Leurs références sont à l'évidence bien plus larges que les miennes.

Cela étant dit, reprenons les choses dans l'ordre. Oncle Boonmee... évoque les derniers jours de la vie d'un homme, affecté d'une maladie rénale. Aux derniers instants de son existence, l'intéressé s'est retiré dans sa maison de campagne. Il vit chichement aux côtés de sa belle-soeur et de l'employé laotien chargé - entre autres tâches - de lui administrer des soins. Un soir, c'est alors que le trio devise tranquillement sur ce qu'on peut imaginer être une terrasse extérieure que la femme de Boonmee, pourtant décédée, apparaît subitement à la table. Un fantôme bientôt rejoint par une créature simiesque qui s'avère être l'enfant du couple, lui aussi disparu. Curieusement, sitôt la surprise passée, la conversation se poursuit. Elle le fait même le plus naturellement du monde. La vie aussi, d'ailleurs, puisque ce temps qui passe n'est pas encore tout à fait celui de la fin. C'est l'instant où le spectateur que j'étais aurait pu décrocher. Ce phénomène fantastique admis comme un événement tout à fait normal peut déroute. Dérouté, oui, je l'ai été. Séduit aussi ? Peut-être pas. Mais intéressé, à tout le moins. Réfrénant alors une tendance quasi-naturelle à me détourner d'images pour moi exagérément obscures, je me suis accroché. J'ai tâché de rester concentré sur ce que je voyais et entendais, pour m'imprégner ainsi d'une ambiance et, partant, d'une autre culture. J'ignore si j'y suis tout à fait parvenu, mais j'ai tenu jusqu'au générique final.

Une certitude: Oncle Boonmee... est un film lent, très lent. Un film qui ne ressemble à aucun de ceux que j'avais pu voir jusqu'à présent, aussi. J'ai justement essayé de le prendre tel quel, comme un bout de Thaïlande. Je l'ai apprécié comme ça, en m'efforçant d'ouvrir grand ma perception à un objet filmique loin de mon quotidien occidental, gavé, lui, de productions américaines et européennes. Une vraie expérience ! Je ne sais pas s'il faut donc vous conseiller d'essayer à votre tour. Je constate aujourd'hui que peu de Français l'ont fait: à peine 72.500 selon les dernières données du box office. Un flop magistral, plus grand que celui des moins bien accueillies d'entre toutes les Palmes d'or antérieures ! Je continue de trouver ça un peu triste. J'ai l'impression que, "descendu" par une bonne partie de la critique, le film n'a jamais vraiment eu sa chance. Peut-être que d'autres, en compétition avec lui au printemps, laisseront en moi une trace plus durable. Peut-être aussi que le chemin qui devait l'amener à la rencontre avec le public était alors semé d'embûches. Sans doute, même. Il n'en reste pas moins vrai que, sans fierté particulière, je suis juste content de l'avoir vu. Je pourrais me dire que j'ai découvert un cinéma différent, un cinéma autre. J'ai ouvert une nouvelle porte. Je ne la refermerai pas et, à l'avenir, espère avoir d'autres occasions de vous la faire passer. Et pourquoi pas même dans ce cas avec des films objectivement plus accessibles ?

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures
Film thaïlandais d'Apichatpong Weerasethakul (2010)

La preuve que Cannes ne couronne pas que les vieux barbons occidentaux. Le lauréat de la Palme 2010 a donc été un Thaïlandais, alors âgé de 39 ans. Sur les vingt dernières années, c'est même d'ailleurs la 16ème fois que la Palme échoit à un cinéaste étranger non-américain. Un bon signe de vitalité artistique, d'après moi. Comme vous l'aurez compris, il ne m'est pas facile de comparer valablement cette oeuvre singulière à une autre. Allez, tant pis ! J'ose me lancer: dans un registre similaire, et avec un petit clin d'oeil du destin, je citerais Big fish. Un film étrange signé... Tim Burton.

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