vendredi 16 octobre 2009

Joueurs, jusqu'au bout

Je vous propose ce soir une chronique sur un extrait du patrimoine cinématographique français: La Baie des Anges, une oeuvre signée Jacques Demy en 1962. Elle met en scène deux personnages, une femme, Jacqueline alias Jackie (Jeanne Moreau) et un homme, Jean (Claude Mann). L'histoire est somme toute assez simple au départ: Jean, garçon modeste, vit seul avec son père, veuf et artisan horloger. Son salaire d'employé de banque limite bien sûr ses loisirs et c'est d'abord un peu étonné qu'il entend un collègue lui proposer d'aller avec lui jouer au casino. Finalement, Jean se laisse tenter et, touché par la chance du débutant, prend goût à l'argent vite gagné. Problème: n'ayant pas respecté les consignes paternelles, il est chassé du toit familial - sans que ça l'affecte particulièrement. Disposant en fait de quelques économies, arrondies des gains qu'il a obtenus à la roulette, le "petit jeune sans histoire" prend le train pour quelques jours de vacances. Direction Nice, sa plage, son centre historique et... ses établissements de jeu. C'est là-bas que va avoir lieu la rencontre décisive entre Jean et Jackie, joueuse à la fois invétérée et solitaire. Portés chacun par l'impression de mener isolément une vie compatible avec celle de l'autre, les deux êtres vont très rapidement se rapprocher. Dès lors, les jeux sont faits !

Et rien ne va plus ! Avec La Baie des Anges, Demy filme une histoire de dépendance, on dirait aujourd'hui d'addiction. Ainsi que j'ai pu l'analyser grâce à un livre sur les films tournés à Nice, il pointe également les mensonges, faiblesses et reniements que provoque cette espèce de maladie. L'intérêt qu'on prend à suivre le film est là: dans la relation ambiguë et, pour le dire clairement, très changeante des deux personnages. S'il est question d'amour, ce sentiment n'est au fond que suggéré, et d'autant plus décalé dans les circonstances de l'intrigue qu'à l'évidence, Jean est plus jeune que Jackie - et c'est d'ailleurs le cas de leurs interprètes, âgés de 22 et 34 ans au moment de la sortie en salles du long métrage. Ce dernier ne dure qu'à peine une heure vingt. C'est court et pourtant, les rebondissements sont là, dans les choix multiples et souvent contradictoires des deux héros atypiques de cette histoire simple. Les atermoiements et volte-faces de l'une ou de l'autre sont permanents, à tel point que le générique final arrive après un ultime revirement de situation. Je vous laisserai découvrir par vous-mêmes ce dont il est question exactement, étant entendu que l'enjeu dramatique tourne bel et bien autour du hasard.

Il ne devrait pas vous surprendre que j'ai également apprécié La Baie des Anges en tant que film qui montre Nice. Si d'autres des oeuvres qui y ont été tournées ne sont pas très explicites, il en va bien différemment ici. Pour ceux qui ont vu les lieux, il est alors simple de reconnaître la Promenade des Anglais et d'autres sites encore, plus ou moins prestigieux. Même bientôt cinquante ans (!) plus tard, le décor naturel n'a pas tellement changé. Détail amusant: il faut noter que c'est la seule fois que Nice accueillera le tournage d'un film de la Nouvelle Vague. En ce qui me concerne, je dirais que ça valait le coup, car le résultat m'a bien plu. Le choix du noir et blanc privilégié par Demy est assez audacieux face à l'éclat des couleurs d'une ville méditerranéenne sous le soleil: il n'y a rien à y redire, toutefois, tant la démarche semble assumée, pour mieux jouer encore sur les variations de tons et les contrastes - au sens propre comme au sens figuré. Par bonheur, j'ai encore aujourd'hui beaucoup de films du même réalisateur à découvrir: ce sera assez amusant d'établir des comparaisons sur la base de tels éléments techniques. Ultime précision géographique en attendant: il y aussi ici des images de Monaco. Là encore, c'est quelque chose que j'ai particulièrement apprécié. Et puis, c'est vrai, le thème le rendait presque obligatoire. Malgré tout, les plans n'ont rien d'une facilité et, encore une fois embelli par une musique lancinante du génial Michel Legrand, l'ensemble des scènes me semble composer une bien belle réussite. Un conseil: n'hésitez pas à la découvrir si vous en avez l'occasion !

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