mardi 31 juillet 2012

Quelques mots de Mikael Buch

Propos recueillis par Martin

Je ne suis pas allé voir Let my people go ! tout à fait par hasard. Après que le film m'a échappé fin décembre, si j'ai voulu lui donner sa chance au tout début de ce mois, c'est aussi parce que je savais pouvoir l'apprécier aux côtés de son jeune réalisateur, Mikael Buch.

L'initiative est à porter au crédit du Fonds social juif unifié (FSJU). En préambule à la clôture du 3ème Festival du cinéma juif, l'invité du soir expliquait à la salle qu'il avait lui-même créé un événement équivalent à Barcelone à l'âge de... 14 ans - il en a une trentaine aujourd'hui. Au terme d'un débat de quelques minutes avec un public chaleureux et conquis, je lui ai proposé une brève interview complémentaire. L'échange qui suit en reprend les grandes lignes. Un grand merci à Mikael et au FSJU de Nice pour leur gentillesse !

Mikael, Let my people go ! est votre tout premier long-métrage. D'emblée, il a fallu que vos acteurs se mettent au finnois...
Simplement Nicolas Maury, en fait, puisque les autres qui devaient parler la langue étaient finlandais. Nicolas, lui, il a pris des cours pendant six mois ! C'était vraiment compliqué et je crois qu'il m'a détesté. Quand vous entendez parler les gens, la musicalité propre au finnois est très différente de celle du français: vous ignorez donc s'il vous affirment quelque chose ou s'ils vous posent une question. Au final, le film a aussi été projeté là-bas et les gens ont compris tout ce que Nicolas pouvait dire: nous avons passé le test ultime !

Pourquoi avoir choisi de tourner en Finlande ?

Le but, c'était d'évoquer une sorte de bout du monde. Dans le mot Finlande, il y a à la fois "fin" et "land". J'aimais également cette idée de tourner dans un pays où je n'avais encore jamais mis les pieds. Cinéphile, je connais juste les films d'Ari Kaurismäki, que j'aime beaucoup. La Finlande, pour Ruben, c'est un peu comme Disneyland ou le pays des Bisounours: tout y est beau et parfait. Cette imagerie un peu kitsch est délibérée. Comme le disait Hitchcock, "mes films ne sont pas des tranches de vie, mais des tranches de gâteau". L'idée n'était pas de raconter la vérité du pays, mais plutôt celle d'un pays imaginaire, du pays fantasmé de Ruben, qu'on appelait souvent Rubenland à l'écriture. Dans ce monde presque trop parfait, on se dit qu'une catastrophe va forcément arriver...

Comment cette idée de film vous est-elle venue ?
J'ai pensé à un personnage désireux de partir très loin de sa famille pour s'inventer un monde idéal et devenir la personne qu'il a décidé d'être. En rentrant à Paris, il se retrouve confronté à une autre part de lui-même, qu'il n'a pas choisie, mais qui le définit quand même. Conséquence: il lui faut réconcilier les deux parts de son identité, celle qu'il a choisie et celle qu'il subit. On ne peut pas tout à fait renier ce qu'on a été. Le film montre que ça ne sert à rien de partir en Finlande ! Tous les parents ont certes des fantasmes pour la vie de leurs enfants, mais on doit composer avec ça et se réinventer.

Et pour expliquer ça, donc, il vous fallait commencer au Nord. Parce que vous, au contraire, vous êtes vraiment du Sud...
En effet, j'ai grandi à Barcelone dans une famille très latine. Les pays nordiques évoquaient donc aussitôt pour moi un fort contraste. Quelque chose de très exotique.

Dans le film, il y a aussi ce côté juif. Vous montrez qu'on nait juif et qu'on le reste, apparemment...
Oui, je crois que ce que dit le rabbin dans le film est vrai: il y a toujours quelque chose qui nous renvoie cette part de nous. Il faut donc trouver la bonne solution pour la vivre et se réconcilier ainsi avec ce qui nous a constitué dès l'enfance. Et malgré ça, on n'est pas tous jeunes à la même époque... ou juifs de la même façon !

Vous, vous avez donc choisi d'en rire...
L'humour est une part de mon identité juive ! Enfant, je regardais des films de Woody Allen ou lisais des romans de Philip Roth, auteurs qui se construisaient par l'humour. C'est quelque chose auquel je suis très sensible. Je m'identifie beaucoup.

On ne peut pas le savoir, mais on peut imaginer qu'il n'y a pas forcément que des Juifs dans votre casting. Comment procéder ? Comment convaincre des non-Juifs de jouer des Juifs, en fait ?
Le fait que les comédiens soient vraiment dans la vie ce qu'ils sont censés être à l'écran, ce n'est pas vraiment important. Je crois qu'être comédien, c'est inventer, tout en restant soi-même. On filme de vraies personnes, mais qui peuvent en être mille autres. J'ai été chanceux d'avoir les comédiens que j'ai choisis, que je trouve extrêmement bons et qui ont eu l'intelligence d'interpréter tout ça sans que ça fasse forcément partie de leur vie à la base.

Vous avez écrit pour eux ?
Non, pas forcément. Je n'ai pas cette habitude. Pendant l'écriture d'un scénario, il m'arrive de penser à des gens, mais ça peut encore évoluer. Beaucoup de choses se passent au moment du casting. Ensuite, quand on crée une famille, il faut qu'une chimie se crée pour qu'un réel sentiment familial apparaisse. C'est un puzzle à construire avec tous les personnages pour que la photo de famille soit crédible.

Ce sont tout de même des acteurs que vous aimez beaucoup...
Ah, ça, oui, bien sûr ! Je n'allais pas en prendre que je n'aime pas ! Quand j'ai choisi, j'ai eu l'impression de faire ma liste de cadeaux pour Hanouka. Tous m'ont beaucoup marqué, dans des films qui ont compté pour moi. Je crois que, dans chacun de ses films, un acteur amène avec lui un peu de ce qu'il a fait avant. Ici, mes comédiens avaient tous d'après moi quelque chose de particulier, qui faisait d'eux les personnes les plus aptes à défendre chacun des rôles.

Carmen Maura, par exemple... c'est l'idole de votre jeunesse ?
Évidemment, quand j'étais en Espagne, elle représentait une image très importante ! Un peu comme Catherine Deneuve en France. Petit garçon cinéphile, j'en faisais un peu l'actrice absolue. Je me suis senti très ému et honoré qu'elle accepte le rôle. J'ai choisi une actrice espagnole car, de père argentin et de mère marocaine, je ne suis pas forcément doué pour représenter une famille franco-française.

Cela dit, c'est Nicolas Maury qui est au bord de la crise de nerfs ! Comment l'avez-vous choisi, lui ? Je sais que vous aviez déjà tourné deux courts-métrages avec lui...
C'est son premier rôle principal au cinéma. Il est davantage connu comme comédien de théâtre. En fait, je l'ai rencontré quand j'étais encore à l'école de cinéma. J'ai tout de suite trouvé qu'il avait un jeu très particulier, très burlesque, qui lui appartenait vraiment. C'est d'ailleurs ce qui m'a donné le courage d'aller vers la comédie.

Et Jean-François Stévenin, Amira Casar et Clément Sibony ?
Jean-François Stévenin, je l'avais vu chez Demy, Truffaut ou Rozier, trois cinéastes français que j'aime beaucoup. Amira Casar, elle, apportait une touche glamour, un rayonnement. J'y tenais particulièrement: je ne voulais pas qu'elle ne soit que la soeur déprimée. Quant à Clément Sibony, bien qu'il soit vraiment différent dans la vie, je savais qu'il serait capable de jouer ce frère. Aussitôt qu'il est entré dans la pièce, j'ai su qu'il pouvait jouer ce personnage. Un casting, c'est un mélange de goûts cinéphiles et de rencontres.

La sexualité tient une part importante dans le scénario du film. Ne craignez-vous pas de choquer certaines personnes ?
J'ai conscience que c'est un risque. Pour moi, il était surtout question de montrer une sexualité joyeuse. J'ai le sentiment qu'à chaque fois qu'on parle de sexe au cinéma, c'est comme si une chape de plomb s'abattait sur le film. Il y a autour de ça un discours un peu moralisateur qui ne me plaît pas beaucoup. Un jeune d'aujourd'hui peut, à 14-15 ans, avoir déjà vu beaucoup de choses. On peut voir du sexe partout, mais à chaque fois sous une forme lugubre, j'ai l'impression. J'ai cherché à le faire de façon positive. Je ne vois pas de raison que ce qui est plutôt agréable dans la vie soit ainsi traité d'une autre façon au cinéma.

Pourquoi ces thématiques, finalement ?
En fait, je crois que ce sont les sujets qui choisissent les cinéastes, plutôt que le contraire. Au moment d'écrire un scénario, je ne me dis pas que je vais traiter tel ou tel sujet. Ce sont plutôt des images, des sentiments, des personnages qui me viennent petit à petit. L'idée est en fait alors d'essayer de les mettre bout à bout et de voir ce que ça donne. Let my people go ! reprend deux aspects importants de ma personnalité, l'humour et le côté juif, sans être pour autant un film autobiographique. Ma famille n'est donc pas celle de Ruben. J'ai plutôt fait un collage de situations que j'ai connues. Quand je vivais à Barcelone, la communauté juive était petite: il y a donc dans le film beaucoup de choses dont j'ai entendu parler...

Au fond, Let my people go ! ressemble à un film de réconciliation. Des moments difficiles, mais on s'aime, malgré tout...
Effectivement. Le but du film, c'était bien de voir comment on part d'une matière hétéroclite, du point de vue de l'identité et sur le plan esthétique, pour au final ne faire qu'un. C'était également important pour moi de montrer que rester soi-même ne veut pas dire forcément faire du mal aux autres.

Et maintenant, un deuxième film ? Vous ne voulez pas en parler ?
Let my people go ! était une bonne première expérience. J'ai eu beaucoup de chance de pouvoir faire le film que je voulais. Je suis actuellement en train d'écrire le prochain, mais je suis superstitieux. Ma propre mère m'appelle tous les jours pour savoir où j'en suis rendu, mais j'essaye de ne pas en dire un mot...

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