samedi 9 avril 2011

Le combat d'une vie

Une chronique de Martin

Lowell, aux États-Unis, c'est d'emblée une vision de l'Amérique profonde. La ville natale de Jack Kerouac héberge aujourd'hui un peu plus de 100.000 habitants et, si j'ai bien compris, se relève doucement de la grave crise industrielle qui, il y a quelques années, l'a frappée de plein fouet. Avec Darren Aronofsky pour producteur exécutif et cette rieuse cité pour théâtre, Fighter ne s'annonçait pas franchement comme une partie de rigolade. Or, les images initiales de ce beau film américain montrent pourtant un duo harmonieux. Dicky et Micky sont deux demi-frères unis, visiblement aussi soudés qu'ils pourraient l'être si, en plus de la même mère, ils avaient également le même père. Dans une vie antérieure pas si éloignée, l'aîné a été un boxeur brillant, passé tout près d'un titre de champion du monde. Revers de médaille: depuis la pré-adolescence, il est aussi sous l'emprise du crack, cette drogue qui le rend désinvolte, ingérable au point de négliger son frangin. En fait, Dicky est aussi l'entraîneur de Micky: déjà trentenaire, le cadet arpente également les rings, mais connaît moins de réussite. Côté addiction, il n'y a rien à signaler de son côté. Le seul problème de celui qui est aussi cantonnier, ce serait plutôt la pression d'une famille qui croit deviner un grand boxeur en devenir dans la peau d'un modeste amateur. Et, après une série de défaites, tout commence sérieusement à dérailler quand ce dernier est, contre son gré, engagé dans un combat perdu d'avance, face à un adversaire nettement plus puissant que lui.

La belle harmonie des deux frères vole alors en éclats, le paradoxe voulant que l'élément déclencheur arrive en fait un (mauvais) jour où, contre toute attente, c'est le plus jeune qui, mû par l'instinct, prend la défense du plus âgé. Et, comme pressenti, c'est l'explosion qui va être la force motrice du film. Fighter n'est pas avant tout l'histoire d'un boxeur, c'est d'abord celle d'un homme simple confronté à des tiraillements intimes face au cercle de sa famille. Les rings, finalement, ne sont qu'un (bon) décor. Sans tomber sans l'outrance de la tragédie pure et dure, le scénario tricote un drame classique, suffisamment étoffé pour tenir en haleine le spectateur que je suis. Il n'y a pas d'idée révolutionnaire là-dessous, juste du bon boulot. Quelque chose de très américain, également, dans la thématique comme dans le jeu. L'interprétation de chacun des comédiens principaux est en effet épatante de justesse. Mark Wahlberg, acteur que je n'apprécie guère généralement, est un Micky tout à fait convaincant. Volontairement allégé d'une bonne vingtaine de kilos, Christian Bale est lui aussi parfait, dans le rôle de Dicky. Et le reste de la distribution livre au regard une très bonne prestation: en mère castratrice, Melissa Leo n'a sûrement pas volé son Oscar, tandis qu'Amy Adams, la petite amie au caractère affirmé, parvient à offrir un contrepoint de douceur dans ce monde de brutes. Joli personnage.

Fighter, ce n'est donc pas du grand cinéma, mais c'est du cinéma efficace, comme je l'aime. Souvent, en dépit du caractère écrasant de leur supériorité de fait, je crois ne pouvoir qu'admettre le talent des cinéastes américains pour densifier une histoire qui pourrait rester simpliste en d'autres mains. C'est le cas avec ce long-métrage qui n'invente rien, mais délivre son lot de plaisir et d'émotions contrastées. À la limite, ce qui m'a le plus surpris, c'est la précision initiale selon laquelle les événements ici dépeints datent de 1993. Avec une belle bande originale où dominent le rythmé Good times bad times de Led Zeppelin et le triste I started a joke des Bee Gees, j'aurais plutôt situé le tout dans les années 1970. Mais qu'importe. Quelle que soit l'époque considérée ou imaginée, l'intrigue fonctionne. Sa crédibilité paraît d'autant moins douteuse qu'elle est en fait, comme tant d'autres actuellement, tirée d'une histoire vraie. Ce qui permet à une partie de la critique de qualifier le film de récit autobiographique n'est pas une facilité pour autant: l'air de ne pas trop y toucher, la réalisation donne aussi une autre image, la face sombre des États-Unis, presque à l'antithèse du rêve américain. Étonnant. Je ne vous dirais évidemment pas comment tout cela s'achève, mais il me paraît difficile de ne voir ici qu'un cinéma strictement commercial. Ce n'est pas non plus du cinéma d'auteur, mais ça n'en est pas loin. Ultime précision: une initiative touchante marque les premières secondes du générique final. J'essayerai désormais de surveiller les prochaines propositions du même auteur.

Fighter
Film américain de David O. Russell (2010)
Le cinéma et la boxe: le parallèle avec Rocky est inévitable. Il est même pertinent, chaque film sortant largement des cordes du ring pour prendre des allures sociales. Je crois honnête de dire qu'un film strictement consacré au noble art aurait du mal à me plaire: ce sport de combat m'a souvent paru plus brutal que technique. Faute d'avoir vu Ali ou Raging Bull, je peux faire une comparaison de cette oeuvre avec Million dollar baby. Là, la mise en perspective apparaît toutefois plus discutable: il me semble que l'oeuvre de Clint Eastwood a un pathétisme dont reste dépourvue celle de David O'Russell.

Aucun commentaire: