mercredi 27 mars 2024

Un froid constant

Je n'aime pas la neige, mais je lui trouve un fort potentiel esthétique au cinéma. C'est elle qui a attiré mon regard vers l'affiche d'un film inédit dans les salles obscures de France: Les disparues de Valan. Âmes sensibles, fuyez donc tant qu'il en est encore temps: ce thriller hongrois est d'une noirceur redoutable (et sans concession, je dirais).

Péter, flic roumain, vient de démanteler un réseau de prostitution organisé autour de très jeunes filles. Cette opération policière réussie ne lui procure aucune joie réelle: l'efficace et courageux enquêteur garde en lui le traumatisme de la disparition de sa soeur, trente ans auparavant, quand elle et lui étaient encore de jeunes adolescents. Question: ce sombre passé ressurgira-t-il ? Le film vous répondra. J'insiste pour dire qu'il faut le réserver à un public adulte et averti. Entrant dans cette catégorie, j'ai plutôt apprécié cette ambiance poisseuse, écho à l'écran d'une mise en scène "aux petits oignons". Avec en prime un héros du genre borderline, j'ai presque été comblé. Presque, oui: je ne me formalise certes pas pour les invraisemblances du récit, mais déplore d'avoir vite su identifier l'affreux psychopathe caché parmi les personnages. Peut-être suis-je trop exigeant, en fait. Si vous avez l'occasion de voir Les disparues de Valan, dites-le moi !

Les disparues de Valan
Film hongrois de Béla Bagota (2019)

Je ne sais pas pourquoi ce film hongrois se passe en Roumanie. Faute d'avoir cherché une explication, je répète que son atmosphère cauchemardesque compte beaucoup dans ma note, dans une logique assez proche de celle que j'avais suivie pour évoquer Les Ardennes. Bon... on n'est pas dans un Seven ou un Memories of murder, hein ? Il manque un peu de fond, mon film d'aujourd'hui. Et oui, je l'assume !
 
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Une précision historico-géographique...

Ne cherchez pas: comme le Fargo des frères Coen, la ville de Valan n'existe pas. En revanche, le film fait directement référence au passé de la Roumanie. Et cite l'ex-dictateur Nicolae Ceausescu (1918-1989).

lundi 25 mars 2024

Son nom est Tong

J'avais pour ainsi dire "zappé" l'existence de Dreamworks Pictures. Depuis bientôt trente ans, le grand studio américain du fameux trio formé par Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen s'illustre avec des films d'animation, ainsi qu'avec d'autres en images réelles. Je viens juste d'en découvrir un: Le smoking, sorti en 2002...

Jackie Chan, alors âgé de 48 ans, y incarne Jimmy Tong, un chauffeur de taxi à New York, très efficace pour se sortir des bouchons XXL lorsque l'un de ses clients l'exige. Un beau jour, des conditions salariales astronomiques le convainquent de devenir le conducteur attitré d'un dénommé Clark Devlin, industriel millionnaire de son état. Surprise: ce charismatique personnage est par ailleurs agent secret. Jimmy l'apprendra soudain quand son patron sera grièvement blessé lors d'une attaque en pleine rue. Ni une ni deux, il endossera l'habit ultra-chic de ceux qui ont pour mission de sauver le monde libre. Encore heureux, vu qu'il y a aussi un méchant dans cette histoire ! J'arrête là avant de tout dire de cette comédie, proche de l'esprit potache (et souvent ras-des-pâquerettes) de l'humour des années 80. Un simple exemple: Le smoking, c'est également un rôle cousu-main pour Jennifer Love Hewitt, jolie demoiselle de 23 ans, incompatible aujourd'hui avec toutes les préconisations du mouvement #MeToo. Résultat: un film correct, malgré tout, mais que je vais vite oublier...

Le smoking
Film américain de Kevin Donovan (2002)

Une note généreuse pour ce machin assez dérisoire, finalement. J'imagine qu'on peut encore préférer en rigoler en considérant ce film comme la parodie d'un James Bond. Johnny English arrive derrière ! Vous avez bien sûr le droit de préférer le Casino Royale de 1967. Quelle autre pantalonnade récente pour rivaliser ? Je sèche un peu. Autant en revenir aux vraies bonnes comédies d'action des eighties...

dimanche 24 mars 2024

Je vous rappelle que...

Vous avez vu ? C'est aujourd'hui l'ouverture du Printemps du cinéma. Comme l'année dernière, de nombreuses salles partenaires en France proposent des séances à 5 euros (tarif de base) jusqu'à mardi inclus. Cela peut s'avérer très avantageux pour celles et ceux qui hésitent devant des tarifs trop élevés - je pense à ceux des multiplexes. Conseil de ciné-gourmand: jeter un coup d'oeil à la programmation. Parfois, les choix sont plus larges qu'on ne peut l'imaginer a priori. Vous trouverez sans nul doute au moins un film qui vous intéressera !

vendredi 22 mars 2024

Partir, un jour ?

Film produit en 2018, Where is Jimi Hendrix ? n'est sorti en France qu'à l'aube du printemps 2020. Il n'a attiré que... 1.916 spectateurs ! Et, récemment, il était visible sur la plateforme numérique Arte.tv. Pourquoi l'ai-je regardé ? D'abord parce que ses origines chypriotes m'intriguaient ! Ensuite parce qu'il promettait d'être plutôt amusant...

Le début est effectivement loufoque. Yiannis, un jeune musicien paumé, rêve de quitter Chypre pour rejoindre la Hollande, un Eldorado où il s'imagine que sa vie sera plus simple. Celle qu'il mène jusqu'alors à Nicosie est plombée, notamment par une récente rupture sentimentale et un manque d'argent criant. Tout se complique encore quand son chien - Jimi Hendrix ! - s'enfuit du côté turc de la capitale chypriote. Et voilà que le film nous embarque dans un cours d'histoire géopolitique dispensé par un bras cassé et quelques personnages secondaires qui ne valent finalement pas beaucoup mieux que lui. Résultat: toute une série de situations ubuesques et plutôt rigolotes. Assez en tout cas pour tenir une heure et demie, en réfléchissant aussi aux perspectives qu'offre la vie sur une petite île au passé sanglant... et coupée en deux. D'où un film que je peux vous résumer d'un cliché: un "honnête divertissement". Et pile ce dont j'avais envie.

Where is Jimi Hendrix ?
Film (germano-greco-)chypriote de Marios Piperides (2018)

Le personnage principal et ses faux airs d'ahuri à la Grégoire Ludig m'ont aussitôt embarqué dans ce récit pour le moins rocambolesque. J'ai aussi repensé au simili-héros de Soul Kitchen. Il est bien évident que le personnage du loser attachant ne date pas d'hier après-midi. Après le chien Jimi Hendrix, je me suis aussi souvenu du chat fugueur d'Inside Llewyn Davis (E. et J. Coen / 2013). Un bon ton au-dessus...

mercredi 20 mars 2024

Un drôle d'ami

Il est né en 1991 et sa première apparition à l'écran date de 2019. Depuis bientôt un an, le nom de Raphaël Quenard revient souvent dans les conversations de ceux qui s'intéressent au cinéma français. L'année dernière, j'avais laissé passer Chien de la casse, César 2024 du meilleur premier film. Mais j'ai pu saisir l'occasion de le rattraper !

Ce rôle - son quinzième - a aussi valu à Raphaël Quenard un César personnel cette année: celui de la meilleure révélation masculine. Tiens, j'évoque un jeune premier, le premier jour du printemps ! Dans ce film, l'intéressé est Mirales, un jeune vraiment grandiloquent qui habite un petit village de l'Hérault (Le Pouget, pour être précis). Dans son sillage, il entraîne Malabar, son chien, et... Dog, son ami d'enfance. Dog qui voudrait redevenir Damien pour vivre pleinement son histoire d'amour naissante avec la jolie Elsa, une nouvelle venue que Mirales toise de toute sa superbe - attitude réciproque, en fait. On a beaucoup dit que Chien de la casse parlait d'une amitié toxique. C'est largement vrai, mais le récit est un peu plus complexe. Je dirais que le film se penche aussi sur le sort de la jeunesse en milieu rural...

Mirales est souvent présenté comme un sale type, dealer à ses heures perdues et prompt à abuser de la gentillesse du gentil garçon introverti dont il dit être le "frère". La relation d'affection supposée apparaît bien trop asymétrique pour être réellement épanouissante pour Dog / Damien. Pourtant, quand on découvre un Mirales proche de sa mère ou aimable avec ses voisins, on peut également se dire que son bagou n'est rien d'autre qu'une carapace - un bouclier possible contre les préjugés d'autrui. La "grande gueule" dissimule son prénom et une fragilité que Raphaël Quenard exprime à merveille, entouré d'autres jeunes acteurs qui, eux aussi, ont saisi les caractéristiques de leurs personnages: j'ai nommé Galatea Bellugi et Anthony Bajon. Grâce principalement à ce trio, Chien de la casse est une réussite indéniable du cinéma émergent et, en tant que premier long-métrage de son scénariste-réalisateur, une très belle promesse pour l'avenir. Je chipoterai en disant que, parfois, il m'a laissé un peu à distance. C'est logique: il rend compte d'une France... que je ne connais guère !

Chien de la casse
Film français de Jean-Baptiste Durand (2023)

Il faudra qu'un jour, je revienne vous proposer un mini-palmarès personnel des premiers films récompensés d'un César (ou d'un Oscar). En attendant, vous l'aurez compris: celui-là est plutôt un bon cru. Détail important: le cinéaste connaît cette ruralité dont il parle. C'était le cas aussi de Hubert Charuel, le réalisateur de Petit paysan. Et de Jessica Palud ? Je ne pense pas, mais j'avais aimé son Revenir !

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Et pour retourner à mon film du jour...

Une dernière info: l'amie Pascale en dit beaucoup, mais en parle bien.

lundi 18 mars 2024

507 kilomètres

Je ne vais pas vous mentir: au terme du film que je vous ai présenté avant-hier, j'avais besoin d'un peu de légèreté. C'est dans cet espoir d'un récit positif qu'après six jours, j'ai regardé Une histoire vraie. Ce long-métrage a 25 ans cette année et vient juste d'être restauré. On a souvent répété qu'il était "à part" dans la filmo de David Lynch...

Alvin Straight, un Américain de 73 ans, habite avec sa dernière fille dans une modeste bourgade de l'Iowa. Sa santé est vraiment fragile. Mais il y a pire: Lyle, son frère, vient d'être la victime d'une attaque. Or, depuis dix ans, les frangins, fâchés, ont pris leurs distances. Alvin décide d'oublier cette querelle pour rendre visite à son parent dans le Wisconsin. Comme sa vue vacille et qu'il est de fait incapable de conduire, il choisit dès lors d'effectuer les 507 kilomètres nécessaires au volant... de sa tondeuse à gazon. Et le voilà alors parti pour des semaines de périple à travers l'Amérique profonde, héros fou et admirable d'un road movie à vitesse réduite. Le plus surprenant étant qu'Une histoire vraie en est bel et bien une, d'histoire vraie ! Et vous trouverez facilement de quoi le vérifier, ailleurs sur la Toile...
 
À quoi tient la réussite d'un tel film ? À l'ambiance qui s'en dégage. Bon... pour le coup, ici, mes yeux et mes oreilles ont été comblés. Visuellement, Une histoire vraie est une belle réussite, liée au talent d'un directeur photo aujourd'hui décédé: Freddie Francis, octogénaire au moment du tournage et qui en terminait avec une carrière notable. Quant à la bande-son, elle bénéficie notamment d'une composition musicale des plus touchantes, oeuvre du regretté Angelo Badalamenti. Plus jeune que ses complices, David Lynch l'était aussi de son acteur principal, le charismatique Richard Farnsworth, atteint d'un cancer incurable (et qui se suicidera moins d'un an après la sortie du film). Heureusement, encore aujourd'hui, il reste à admirer Sissi Spacek dans un petit rôle et une prestation pour elle relativement inattendue. Présenté à Cannes en son temps, le film en était reparti bredouille. Que cela ne vous décourage pas de le découvrir - si ce n'est déjà fait !

Une histoire vraie
Film américain de David Lynch (1999)

Quatre étoiles pour le plaisir et une demie en bonus pour l'émotion toute particulière qui s'est emparé de moi devant ce vieux monsieur. Ah ! Décidément, le road movie à l'américaine regorge de surprises bouleversantes (cf. L'épouvantail ou Honkytonk man, entre autres). Cette tradition a traversé l'Atlantique et trouve des échos européens. J'ai des exemples: Eldorado, Rendez-vous à Kiruna, En roue libre...

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Vous voulez lire un autre avis sur le film ?

J'ai une bonne nouvelle pour vous: "L'oeil sur l'écran" en a publié deux.

samedi 16 mars 2024

Auprès des monstres

Avez-vous lu Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, paru en 2006 ? Dans ce très long roman écrit en français, l'écrivain franco-américain fait le portrait de Maximilien Aue, un officier (imaginaire) de la SS. "Ce qui m’intéressait, c’était la question des bourreaux. Du meurtre d'État", précisait-il à l'époque. Un sujet qui reste des plus sensibles...

L'an passé, le cinéaste britannique Jonathan Glazer s'en est emparé. Et comment ? En travaillant sur
La zone d'intérêt, un autre livre consacré à la Shoah vue par les Nazis - ouvrage d'un compatriote d'origine galloise: Martin Amis. L'auteur est décédé le 19 mai dernier et donc moins de dix jours avant que le film ne décroche le Grand Prix au Festival de Cannes, lui qui avait été pressenti pour la Palme d'or. Quoi qu'il en soit, il était sans aucun doute un long-métrage attendu. Son ouverture donne le ton: le titre apparaît en blanc sur fond noir, devient lentement de plus en plus gris et finit par disparaître. Surprise: la première "vraie" image montre une dizaine de personnes installées au bord d'une rivière, devant les restes d'un pique-nique. L'aspect bucolique de la scène contraste avec ce qui arrive ensuite. Deux belles voitures se mettent en route et s'enfoncent dans la nuit vers Auschwitz, le principal camp d'extermination du Troisième Reich.
 
J'ai du mal à imaginer que vous soyez coupés de l'actualité du cinéma au point de n'avoir JAMAIS entendu parler du film. Son originalité tient à ce qu'il ne montre aucune victime de la barbarie hitlérienne. Enfin, si ! Quelques prisonniers convertis (de force) en domestiques et jardiniers pour le compte de Rudolf Höss, le directeur du camp. Présents dans presque chaque plan, oui, mais quasi-fantomatiques compte tenu de ce que Jonathan Glazer a voulu raconter: le quotidien ordinaire d'une famille installée dans une villa mitoyenne d'Auschwitz. Un homme, une femme, leurs cinq enfants et, parfois, leurs proches. Toutes et tous bénéficient d'un immense confort, à quelques mètres des lieux où plus d'un million d'êtres humains vont être massacrés. Seul un mur sépare les monstres de leurs victimes. La zone d'intérêt du titre est elle-même plus large, qui englobe les terres adjacentes sur plusieurs hectares. Elles aussi confiées à l'Obersturmbannführer...

Ces faits ont été réels, mais le cinéma induit toujours de la fiction. Je m'attendais dès lors à être très mal à l'aise du fait de ce décalage. Pourtant, non: j'ai vu pire, à l'écran comme dans les livres d'histoire. Rien n'est pris à la légère: le film est, sauf erreur, le fruit de cinq ans de travail. Il est pour ainsi dire irréprochable, visuellement parlant. L'ensemble de ce que j'ai vu m'a paru crédible: c'est plus qu'important. Dans le même temps, j'ai trouvé que les techniques du hors-champ étaient utilisées à très bon escient - pas besoin d'une couche d'horreur supplémentaire, en lien avec des images que nous connaissons tous. Ce qui me paraît à la fois intéressant et redoutable, c'est que le film stimule presque constamment un autre de nos cinq sens: l'ouïe. Résultat: une musique qui m'a semblé sortie d'un cauchemar sans fin et - surtout - des bruitages tout à fait évocateurs des abominations perpétrées à l'abri des regards. Tout cela au cinéma, c'est (très) fort !
 
Comment reprendre son souffle après coup ? C'est
difficile, bien sûr. Surtout quand La zone d'intérêt sort du camp et rejoint les salons mondains fréquentés par les Nazis, en marge desquels ils débattent des méthodes les plus efficaces pour accomplir leur oeuvre de mort. Quitte d'ailleurs à féliciter, au passage, les plus zélés d'entre eux. Aujourd'hui, peu ou prou huit décennies plus tard, j'estime primordial que la mémoire de ces sombres heures de l'histoire européenne perdure. Et je note que Jonathan Glazer nous parle aussi au présent ! Il a pu s'appuyer sur un groupe d'acteurs particulièrement investis dans leurs rôles, d'où émerge le duo Sandra Hüller - Christian Friedel. Résultat: l'une des oeuvres marquantes de ce premier trimestre 2024. J'éviterai de citer trop de noms afin d'être sûr de n'oublier personne. J'y reviendrai peut-être, sans être étonné que certain(e)s d'entre vous puissent s'en détourner. J'ai longuement hésité avant de m'y frotter...

La zone d'intérêt
Film britannique de Jonathan Glazer (2023)

Précision: cet opus a aussi des producteurs américains et polonais. Et, bien évidemment, il a été tourné en version originale allemande. À présent, pour comparer l'incomparable, il faudrait que je me décide à revoir La liste de Schindler, de Steven Spielberg (sorti en 1993). Autre option: affronter Le fils de Saul, qui date quant à lui de 2015. D'ici là, je vous suggère La vie est belle, Le pianiste et/ou Phoenix !

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Par ailleurs, vous avez une belle opportunité...

Celle de lire aussi les avis de Pascale, Dasola,
Princécranoir et Strum. Ou encore celui de Benjamin, mis en ligne quatre jours avant le mien.

mercredi 13 mars 2024

Le vrai Yémen ?

Ce n'était jamais arrivé: avec Les lueurs d'Aden, les salles de cinéma françaises ont pu accueillir un film yéménite pour la première fois. J'ignore combien elles ont été à le faire, mais j'ai trouvé cela positif. C'était en effet l'occasion de se pencher sur un visage du Yémen autre que celui qui fait l'actu en ce moment ! Et même s'il ne sourit guère...

Isra'a a du mal à nourrir ses trois enfants et en attend un quatrième. Comme Ahmed, son mari, elle estime qu'il serait préférable d'avorter. Mais la législation de son pays est floue: certains jugent interdit d'interrompre une grossesse dès son commencement, quand d'autres assurent que c'est encore possible dans les 40, voire les 120 jours ! Évidemment, c'est loin d'être un sujet de société dont chaque couple discute librement: le tabou perdure et pèse d'abord sur les femmes. C'est donc un véritable parcours de la combattante que Les lueurs d'Aden nous invite à suivre, sans se cantonner toutefois à ce sujet. "Ce qui m'intéressait, c'était de déplacer le problème à une famille toute entière", a dit le réalisateur lors d'une interview. Son intention était également de montrer la vie quotidienne des Yéménites d'aujourd'hui, dans cette ville portuaire qui est par ailleurs la sienne. "Je voulais faire un film brut et très réaliste". C'est le cas, je dirais...

J'ai sincèrement apprécié que la caméra se pose assez régulièrement pour nous montrer à quoi peut ressembler ce pays du Moyen-Orient largement méconnu. Et qu'elle fasse des enfants des personnages secondaires, certes, mais que le scénario n'oublie jamais au milieu des problèmes des adultes. Le récit déjoue les idées toutes faites. Même s'il s'avère plutôt pessimiste, il laisse passer un peu de lumière dans certaines scènes au coeur de l'intimité familiale. Sa complexité relative le tient à l'écart du pathos et du misérabilisme: un bon point. Le metteur en scène a présenté son film à la Berlinale et a expliqué que ces comédiens "n'étaient pas de grands professionnels" (je cite). Tant mieux: la sobriété de leur jeu les rend on ne peut plus crédibles. Faire leur connaissance par écran interposé m'a été fort agréable. Merci aux producteurs saoudiens et soudanais qui ont rendu la chose possible: tous les pays du monde n'auront pas cette belle opportunité !

Les lueurs d'Aden
Film yéménite de Amr Gamal (2023)

J'ai bien failli arrondir ma note à quatre étoiles pleines et me réjouis d'ajouter un petit drapeau supplémentaire à ma collection de cinéma. J'ai repensé à mes premières "balades" iraniennes: Les chats persans ou Une séparation. La difficulté d'exercice des libertés individuelles au Moyen-Orient s'exprime aussi, moins abruptement, dans Wadjda. Il est plus que nécessaire de soutenir les artistes qui nous en parlent !

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Et pour appuyer mon propos...

Je vous recommande de lire aussi la chronique de notre chère Dasola. Bonus: vous y découvrirez également la somptueuse affiche du film...

lundi 11 mars 2024

Mortelle, la coloc...

La confiance toute relative que mes parents avaient en mon binôme possible a fait qu'étudiant, je n'ai jamais été hébergé en colocation. Coïncidence amusante: si ma mémoire est bonne, c'est avec ce pote que, pour la première fois, j'ai pu voir Petits meurtres entre amis. L'histoire d'une colocation, donc, au fonctionnement assez particulier.

Juliet, médecin hospitalier, Alex, journaliste, et David, comptable, vivent sous le même toit - à Édimbourg ? - et cherchent un numéro 4. Ils ont un nombre in-cal-cu-lable de questions à poser aux candidats qui se présentent et se moquent ouvertement de ceux qu'ils recalent. Ils acceptent Hugo, un soi-disant écrivain, charismatique et plus âgé qu'eux, avant de le retrouver... nu et mort, dès le lendemain matin. Et, surprise: avec une valise de billets de banque cachée sous son lit. Vous imaginez sans doute qu'à partir de là, la cohabitation volontaire va prendre des allures de jeu de massacre. Je ne confirmerai rien ! Les amateurs retiennent que Petits meurtres entre amis a été tourné pour des clopinettes, au point que des accessoires ont dû être vendus aux enchères afin de permettre l'achat des indispensables pellicules. Moi, je me souvenais par ailleurs de ce film comme l'un des premiers d'Ewan McGregor, âgé de 23-24 ans. Le trio qu'il forme avec Kerry Fox et Christopher Eccleston fonctionne bien, d'où un succès (inattendu). Trente ans après, il ne reste plus grand-chose de son côté subversif...

Petits meurtres entre amis
Film britannique de Danny Boyle (1995)

Les débuts aussi d'un cinéaste emblématique pour ma génération. Plusieurs de ses autres films sont déjà sur le blog, les plus anciens comme Une vie moins ordinaire ou La plage établissant un style. Christopher Nolan naviguait dans les mêmes eaux avec Following. Tourné également dans les marges urbaines, Naked est bien plus cru. Désormais, le cinéma britannique s'est un peu assagi, il me semble...

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Le film est-il dépassé aujourd'hui ?

Je ne crois pas, mais "L'oeil sur l'écran" en a une vision très négative.

samedi 9 mars 2024

Identité(s)

Cela fera demain un an que A man a triomphé aux "César" japonais. Le film en a mis deux pour arriver dans les salles obscures françaises. Il avait d'abord été présenté dans plusieurs festivals, dont la Mostra de Venise. Cette adaptation d'un roman s'avère vite d'une intensité dramatique peu commune et, à ce titre, mérite toute votre attention.

Rie vit avec son jeune fils et sa mère depuis qu'elle a divorcé. Modeste papetière, elle a vécu un drame (que je ne dévoilerai pas). Elle a remarqué qu'un homme revient souvent dans sa boutique. Exactement le contraire d'un dragueur: un type timide, qui lui achète assez régulièrement du matériel à dessin. Un jour, il s'adresse à elle plus directement, dit s'appeler Daisuke et exprime une envie d'amitié. Doucement, mais sûrement, le duo devient un couple harmonieux. Oui, mais Daisuke, bûcheron, meurt dans un accident du travail: Rie n'a alors d'autre choix que d'organiser seule les obsèques de son mari. Elle rencontre ensuite son beau-frère. Qui ne reconnaît pas le défunt sur les photos ! J'arrête mon résumé: ce n'est que le début du film. Cette introduction pose un mystère. Plusieurs surprises surviendront au film du métrage - je crois presque impossible de les anticiper. Autant le dire tout net: A man est à mes yeux un excellent thriller. Mais ce qui est formidable, en fait, c'est qu'il est aussi... autre chose.

J'ai lu une critique qui le qualifiait de "labyrinthe psychologique". C'est assez bien trouvé. Faisons simple: le film nous parle d'identité. Qu'est-ce qui, au milieu d'un groupe, nous détermine comme individu unique ? Peut-on échapper au carcan de ce que l'on est par atavisme familial ou à l'inverse réussir à façonner une personnalité différente ? Quel poids symbolique fait peser sur nous le nom que nous portons ? Bon... je conçois que, présenté ainsi, A man peut sembler complexe. Il l'est, mais, en même temps, je trouve qu'il pose des questions potentiellement universelles et reste donc - relativement - accessible. La version originale japonaise réclame du spectateur des efforts soutenus de concentration, mais le récit y gagne en authenticité. Âmes sensibles, attention: les personnages vivent de rudes épreuves et n'avancent pas nécessairement tous vers une forme d'apaisement intime. La dernière scène nous laisse d'ailleurs face à un choix possible, ce que vous pourriez trouver délicat, voire inconfortable. Comment savoir ? En allant au cinéma, pardi ! S'il est encore temps...

A man
Film japonais de Kei Ishikawa (2022)
Un homme
, oui... et ce titre - simplissime - vaut pour une oeuvre cinématographique compliquée, mais d'une puissance étonnante. Difficile d'en trouver de comparable: j'ai juste pensé au premier film de Kiyoshi Kurosawa que j'ai pu voir, le très éprouvant Cure (1997). Réflexion faite, Profonds désirs des dieux (Shôhei Imamura / 1968) reste sans doute le film japonais le plus déroutant que je connaisse...

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Envie d'aller plus loin ?

Pascale a aussi aimé le film, sans forcément y voir les mêmes choses. Vous constaterez que Princécranoir, lui, émet davantage de réserves ! Arrivée, elle, un peu plus tard, Dasola pourrait donc... les départager.